Management
Confrontées aux problématiques de recrutement de jeunes natifs du numérique et des nouvelles technologies, les entreprises savent qu’il leur faut utiliser les bons outils pour les attirer. Mais elles doivent aussi revoir leur manière d’être.

[Cet article est issu du n°1951 de Stratégies, daté du 24 mai 2018]

 

Ils étaient des centaines, le 3 mai, à Station F, pour une étude signée JobTeaser sur « ce que veulent les jeunes talents » (1). Cette plateforme de recrutement d’étudiants et de jeunes diplômés avaient réuni sur scène des dirigeants d’entreprise ou de start-up pour commenter les attentes de la « tech génération ». Premier constat, cette classe d’âge biberonnée aux outils numériques ne répond pas qu’à des sollicitations technologiques.
Bien sûr, « le contenu qui leur est adressé doit être adapté au mobile et le plus attractif possible », comme dit Benoît Lebreau, community manager du site Topito. LeBonCoin vient d'ailleurs de lancer une offre d'emploi pour cadres qui fonctionne comme un site de rencontres avec des notifications pour le suivi de sa candidature, en toute transparence sur les critères de sélection.

34 % préfèrent les petites structures

Le « savoir-être » et la culture d’entreprise sont aussi clés. Celia Galas, directrice marketing de JobTeaser, le confirme en démontant des idées reçues : « Tous ne veulent pas bosser à Google ou à L’Oréal puisque 34 % des étudiants souhaitent démarrer leur carrière dans une petite structure, PME ou start-up, explique-t-elle. Dans notre top 5, ils privilégient la facilité de communication, tant horizontale - entre pairs - que verticale, et valorisent l’autonomie ainsi que la prise d’initiative, la qualité et l’emplacement des locaux, les perspectives de carrière ainsi que les entreprises qui donnent confiance en l’avenir ».

À l’inverse, ils ne sont pas à la recherche de modèles parmi leurs managers, ne se projettent pas en volume d’heures de travail, n’accordent qu’une importance relative au prestige social du poste ou de l’entreprise et rejettent les codes, notamment vestimentaires. « C’est une génération prête à s’engager et à travailler longtemps en termes d’heures mais à condition qu’il y ait de la réciprocité en termes de flexibilité et de transparence, ajoute l’experte. Et 68 % ne se projettent pas au-delà de deux ans dans l’entreprise ».

Habitués à la précarité

Comment répondre à ces attentes ? En privilégiant bien sûr des méthodes de travail agiles mais aussi en créant du sens. « La technologie supprime le temps et l’espace. Chacun sent sa place plus menacée mais est aussi en quête d’utilité » explique Joséphine Bouchez, cofondatrice de Ticket for Change. Pour cette génération habituée à ce qu’une embauche sur dix soit en CDI, la précarité faut aussi partie du paysage. « Il y a un million de freelance en France, dont neuf sur dix le sont par choix, assure Jean-Charles Varlet, cofondateur de la Crème de la Crème, plateforme de rencontre entre entreprises et indépendants. Le télétravail, via les outils de connexion à distance, plaide selon lui pour une relation moins contractuelle : « Le freelance est une des formes de travail de demain, explique-t-il. Certains font 3-4 heures, d’autres un plein temps. La technologie permet d’évoluer car il est moins difficile qu’avant de trouver des clients et des projets, surtout pour des développeurs ».
Du côté des entreprises, Carole Mergen, directrice du recrutement d’IBM, souligne que les jeunes viennent dans une optique de « test & learn ». Au recruteur, donc, de s’adapter : « On est en test réel permanent, sachant qu’on en perd plus vite mais on en gagne aussi plus vite », dit-elle. Pour éviter les déceptions des stagiaires ou des apprentis, des « briques d’acquisition de connaissance » sont proposées. Quant aux entretiens pièges, ils sont désormais proscrits : « Il ne servent qu’à éliminer des stagiaires qu’on aurait dû prendre », dit-elle. Guillaume Saintagne, manager RH à Ubisoft, insiste lui sur la nécessité d’en finir avec la « com bullshit », sachant que les jeunes talents, sensibles à l’esprit collaboratif, se font leur avis sur une entreprise à travers des rencontres RH ou avec les alumnis.
C’est ce qu’a bien compris Orange, qui a lancé le 17 mai dans onze villes de France sa journée et sa plateforme Hello Jobs. L’idée est de créer une dynamique avec non seulement un forum de l’emploi fort de 2500 postes à pourvoir et de 5000 offres de stage en 2018, mais aussi des tables rondes avec des experts et des partenaires ou des ateliers conseils pour les candidats. Confronté à la concurrence des Gafa comme des start-up, l’opérateur doit désormais tant convaincre des diplômés de marketing ou du commerce de le rejoindre qu’attirer à lui des talents sur des métiers nouveaux (voir ci-dessous).

Du sérieux au cocasse

« Ils cherchent du sens, de la relation directe et le moyen d’avoir de l’impact », explique Fabienne Dulac, directrice générale d’Orange France. Il faut aussi pousser les managers à accepter que les jeunes aient les moyens d’avoir des projets disruptifs ». La Petite Fabrique, qui intègre une trentaine de jeunes par an, vise d’ailleurs à challenger le comex en ce sens. Pour recruter notamment 900 jeunes dans le numérique, l’entreprise a bien compris qu’elle devait s’adapter à ses futurs employés. Cela va du plus sérieux – comme les partenariats noués avec les écoles pour répondre aux besoins de demain – au plus cocasse, comme ce sociologue recruté dans le Nord pour expliquer aux responsables de boutique comment fonctionne un jeune en retard le matin pour cause de boîte de nuit.
Pour coller à une génération, qui est aussi celle de ses consommateurs, Orange est en quête de diversité des profils, des sexes et des chances : « On a du mal à recruter des jeunes filles techniciennes depuis le collège, mais la reconversion dans des formations techniques fonctionne, observe Fabienne Dulac. Une de nos meilleurs éléments dans la fibre est une ancienne coiffeuse : elle s’est lancé dans le métier en se disant qu’elle avait l’habitude de couper les fils ! ».

 

 

 

 

 

 

3 questions à Brigitte Sabotier, directrice des relations humaines du groupe Orange


« Les compétences techniques vont se périmer très vite »

Vous avez lancé le 17 mai la journée Hello Jobs pour permettre aux candidats de rencontrer des experts d’Orange. Une plateforme numérique ne suffit pas ?
On peut réaliser nos 2500 recrutements annuels grâce à notre plateforme et aux opérations de recrutement classiques. Mais notre sujet est d’aller trouver des compétences nouvelles sur des métiers émergents : la cybersécurité, l’intelligence artificielle, le big data ou encore le webdesign pour avoir des interfaces clients ergonomiques. Sachant que le système éducatif ne répond pas toujours à ces nouveaux métiers dans des volumes suffisants. L’enjeu de cette campagne Hello Job est donc de réussir nos 2500 recrutements mais aussi de préparer les jeunes s’ils choisissent des formations qui leur permettent d’être embauchés ultérieurement. Cela vise à préparer les esprits et à adresser un large public, y compris des parents d’élèves.

En quoi la rencontre physique est-elle importante ?
Les jeunes qui cherchent un emploi recherchent le partage de l’expérience salariée. Ils veulent se projeter dans une entreprise où ils auront de la marge de manœuvre, de la capacité d’initiative, du sens... C’est un tout. C’est plus inspirant que sur un job board.

Comment fait-on pour sélectionner les profils des jobs qui n’ont pas encore été inventés ?
Notre capacité prédictive à imaginer les métiers de demain est moins rapide que la transformation digitale. Le seul moyen, c’est donc de repérer des talents qui ont une grande capacité d’apprentissage, une curiosité intellectuelle et une grande ouverture sur le monde. Qui montrent qu’ils ont su se réinventer. Les métiers de demain vont reposer beaucoup sur les soft skills car les compétences techniques vont se périmer très vite.

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