RSE
Annoncée dans la future loi Pacte, la redéfinition de la raison d'être de l'entreprise mobilise les acteurs du développement durable comme les entreprises et les politiques. Espoirs et attentes avant un débat parlementaire et une bataille de communication où chacun devra dire quelle est son empreinte sociale et environnementale.

Bruno Bonnell, député LREM du Rhône, le dit crûment : « On a beau le raconter avec du sens, ou de la motivation, le but de l’entreprise est de faire du pognon ». Au Théâtre des Variétés à Paris, ce 31 mai, ils étaient plusieurs centaines à être réunis par la Fondation des Transitions, la Sorbonne, la Fondation agir contre l’exclusion et Convergences autour de « L’entreprise face à ses nouvelles missions ». En perspective, la loi Pacte qui devrait être présentée fin juin en conseil des ministres et qui se nourrit elle-même des 14 propositions du rapport Notat-Senard visant à mieux intégrer le social et l’environnement dans les problématiques des sociétés commerciales.

Une redéfinition de l'entreprise

Certains voient dans ce texte l’occasion de réconcilier les Français avec l’entreprise, d’autres espèrent ouvrir l’entreprise aux préoccupations de la société. S’il est difficile de dire de quel côté penchera la balance, le colloque du 31 mai a permis de mesurer les attentes des acteurs du changement. Au-delà de la dimension participative, visant à conforter intéressement et participation financière dans les PME, c’est une complète redéfinition de l’entreprise qui est attendue. L’article 1833 du Code civil pourrait en ce sens être réécrit afin de prendre en compte l’intérêt des salariés et de l'environnement. « Retournons la chaussette, illustre Bruno Bonnell, au lieu d’avoir la société anonyme comme base, que la base soit la société sociale et environnementale et que les gens qui veulent moins l’assument en décochant ces responsabilités. » 

Plutôt qu’un « green & social lifting », le député appelle ainsi à faire de l’entreprise à mission un « accélérateur de la transformation sociale ». De grands groupes se sont déjà mis en mouvement. Chez Danone, on sait depuis Franck Riboud que « la performance économique sans progrès social n’est que barbarie et que le progrès social sans performance économique n’est qu’utopie ». La croissance durable et profitable est au cœur des objectifs 2030 du groupe Danone. Depuis la nutrition infantile avec Blédina jusqu’à Les 2 Vaches, l’entreprise se nourrit d’engagements chiffrés. « On tient le même discours vis-à-vis des financiers, de la RSE et, on l’espère, des consommateurs », rappelle Emmanuelle Wargon, senior vice-président du groupe. Les laboratoires Pierre Fabre, qui appartiennent à une fondation, dispose d’un plan d’actionnariat salarié pour assurer la répartition des dividendes et accompagne les pays en développement par des formations dans la santé. « Nous privilégions la création de valeur durable en préservant l’enracinement régional et la responsabilité sociétale » souligne Pierre-André Poirier, directeur éthique et développement durable.

Emploi régional

Pour la Camif, son président Emery Jacquillat témoigne qu’il a pu relancer l’entreprise en s’installant à Niort afin de bénéficier des garanties d’emprunts par les pouvoirs locaux. L’emploi régional est donc clé dans son modèle d’affaires : « L’impact est le socle de base de l’entreprise à mission, explique le jeune patron, on a travaillé deux ans sur notre raison d’être qui est d’être au bénéfice de l’homme et de la planète. Mais quand la mission est claire, elle éclaire tout le monde. »
Au cœur de l’entreprise à mission, la cohérence dans le temps et l’interdépendance dans la chaîne de production. Elizabeth Soubelet, présidente de Squiz, a ainsi lancé ses gourdes réutilisables en vente dans 1100 magasins et dans 20 pays en investissant 2% de son chiffre d’affaires dans des œuvres caritatives. Avec 60 % du produit fini fabriqué localement, elle est parvenue à épargner 200 tonnes de déchets non recyclables. « On a fait le bonheur de notre village, de nos financeurs et de nos clients finaux », note-t-elle, en rappelant qu’il est nécessaire d’avoir une « vision holistique » ainsi qu’un cadre transparent sur les moyens d’arriver à ses fins. Avec une note de 123 sur 200, Squiz est d’ailleurs l’entreprise française la mieux labélisée B Corp, une certification internationale pour les sociétés commerciales répondant à des exigences sociétales, environnementales, de gouvernance et de transparence. « Un mouvement très fédérateur qui valorise le rôle auprès des partenaires et des fournisseurs afin d’engager des démarches de progrès », rappelle Benjamin Enault, son porte-parole et directeur d’Utopies. 

Vision politique de l'entreprise

Start-up lauréate de la French Tech, meilleurs produits de l’année… L’innovation responsable est au cœur des entreprises à mission. « Elles deviennent à mission dès que les actionnaires s’en mêlent » rappelle Armand Hatchuel, professeur à ParisTech. D’où l’importance d’impliquer shareholders comme stakeholders. « La présence des salariés au conseil d’administration est un enjeu de pérennité de l’entreprise, cela permet de rééquilibrer le travail face au capital », relève Frédérique Lellouche, secrétaire confédérale de la CFDT. Une enquête du syndicat auprès de 20 000 personnes a montré que 72 % des salariés souhaitent être associés aux décisions les concernant.
Caroline de La Marnierre, fondatrice de l’Institut du capitalisme responsable, oppose au « capitalisme augmenté » à la data et aux technologies en vue d’une performance financière un « capitalisme du vivant, presque biologique qui s’inscrit dans la contribution à son écosystème ». C’est cette nouvelle inscription dans un tissu environnemental et social qui est aujourd’hui attendu. Avec la volonté de « valoriser et non de stigmatiser, préférant l’engagement à la norme afin de porter une vision politique de l’entreprise », selon Agnès Touraine, présidente de l’Institut français des administrateurs. Mais pour Dominique Potier, député Nouvelle Gauche, il faut aller plus loin en rejoignant le modèle rhénan des entreprises où le respect d’une empreinte locale n’empêche pas de se projeter dans le monde. Il faut aussi un label public pour la RSE et que la transparence empêche tout « dumping fiscal et social ».


« Il nous faut une loi ambitieuse »
Gilles Berhault, délégué général de la Fondation des transitions


Votre colloque sur les nouvelles missions de l’entreprise a réuni au théâtre des Variétés 400 personnes sur 1000 inscrits le 31 mai. Le signe d’une attente très forte ?

Oui, une vraie appétence et qui correspond à une vraie démarche chez les plus jeunes qui sont en recherche d’utilité sociale, de valeurs… Je n’ai jamais vu, sur ce type de sujets, un tel succès. C’est le plus gros événement à quelques semaines de la loi Pacte. L’enjeu est que l’entreprise à mission, avec une vue élargie, soit plus efficace. Pas seulement pour maîtriser ses impacts mais aussi pour offrir des solutions.


Est-ce aussi un chantier en termes de communication ?
Bien sûr. Certes, le risque du green ou du social washing existe. Mais c’est aussi l’opportunité de réconcilier l’entreprise avec la société. Certaines se comportent mal sur le plan social et environnemental mais d’autres cherchent à bien faire et rapidement. L’entreprise à mission existe, comme en témoignent la Camif ou Pierre Fabre, mais l’enjeu est de changer d’échelle, d’aider l’entreprise à se transformer et que ça se fasse le mieux possible.

Faut-il des sanctions pour les mauvais élèves ?
Il faut un peu de contrainte, mais je suis plutôt favorable à des incitations. On peut, en termes de gouvernance, impliquer davantage les salariés. Et cela doit concerner toutes les entreprises, pas que les grandes. Avec une ambition triple 0 : zéro exclusion, zéro déchet et zéro carbone. Il nous faut une loi ambitieuse, pas tiède. Cela peut donner envie d’aller dans l’entreprise pour participer à l’action, inventer des solutions et créer de la qualité de vie.

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