Coaching
La verticalité des hauts dirigeants s’est effondrée. Le modèle du top manager se renouvelle au profit d'une approche horizontale, collaborative et humble. La fin des patrons omniscients.

Le 19 novembre 2018, les déboires commencent pour Carlos Ghosn, aux manettes de l’alliance Renault-Nissan. Cette date signe probablement aussi la fin d’un certain modèle de grands patrons en France. « Un dirigeant gourou, sans contrôle, n’est plus admissible aujourd’hui, explique Vincent de la Vaissière, à la tête de VcomV, cabinet parisien en communication. L’époque de la gouvernance sans foi ni loi est révolue. Après la crise de 2008, arc-boutés sur leurs performances, sur les cours de la Bourse, accrochés à une pratique managériale très pyramidale, certains dirigeants ont perdu de vue la conscience sociale ou sociétale de leur entreprise. Aujourd’hui, l’environnement est devenu plus exigeant. Le moment de bascule s’est produit voici trois ou quatre ans. »

 

Fin des rouleaux compresseurs

D’autres noms de grands patrons occupent le terrain, les paillettes ou le star-système en moins. Sans défrayer la chronique. Pêle-mêle : Emmanuel Faber pour Danone, Antoine Frérot chez Veolia, Hubert de Boisredon, aux commandes d’Armor, groupe nantais de production de consommables pour l’impression, ou bien encore Jean-Dominique Senard, qui a repris le flambeau de Renault. Du même âge (à une année près) que Carlos Ghosn – preuve que ce n’est pas forcément une affaire de génération -, ce dernier est justement cité en contre-exemple de son prédécesseur. « Le glissement dans le style est bien perceptible, analyse Xavier Hollandts, professeur associé à Kedge business school, spécialiste des questions relatives à la stratégie. Ils sont plus “low profile”. L’approche est plus modeste. C’en est fini des rouleaux compresseurs trop sûrs d’eux. On parle dorénavant de “flat organization, autrement dit d’entreprise horizontale, avec moins de couches managériales. L’organigramme s’est aplati. Les strates ont été divisées par deux en quelques années. ». Un signe ? La cravate, signe de verticalité managériale, n'est plus arborée chez de très nombreux big boss.



Agenda symptomatique

Socrate, et son « Connais-toi toi-même », s’invite à la table des managers de 2019. « Face aux différentes mutations, les dirigeants ne vont pas modifier leur ADN, commente Raphaëlle Laubie, directrice générale du Cercle du leadership. On ne leur demande pas de travestir leur caractère propre. Charge à eux d’adopter une démarche introspective pour mieux se connaître et ensuite bien s’entourer pour développer le bon écosystème. Déléguer pour que chacun des collaborateurs déploie ses talents est un passage obligé. Émotionnelle, intrapersonnelle, situationnelle, corporelle, logique… autant d’intelligences à mobiliser collectivement pour la réussite de l’organisation. » Plus collaborative, cette approche est empreinte d’humilité - un ingrédient indispensable aux managers d’aujourd’hui. 

Un nouvel adage pourrait voir le jour, avec ce nouveau modèle : montre-moi ton agenda, et je te dirais quel manager tu es ! La proximité avec les collaborateurs ne doit pas rester au stade du vœu pieux, du verbiage de la communication, mais trouver une réalité concrète. « L’agenda est parfaitement symptomatique de l’efficacité et de la performance d’un dirigeant, insiste Jean-Baptiste Lendrin, président de Visconti, cabinet positionné sur le créneau de l’accompagnement des dirigeants. Garde-t-il suffisamment de temps pour être présent auprès de ses équipes ? Pour pouvoir tout à la fois “driver” et écouter ? Pour faire confiance et se faire embarquer par ses équipes ? » Un jeu tout en équilibre. Il n’y a pas une réponse type, à dupliquer. Il n’y a pas de recette à reproduire. Le modèle version 2019 du haut dirigeant implique des allers-retours, des ajustements. Un processus itératif. Qu’a-t-on appris ce mois-ci ? Où avons-nous échoué ? Régulière, l’introspection sert aussi à susciter l’adhésion des équipes.

 

Managers coachs

 

« La confiance crée ce qu’elle espère, et le soupçon crée ce qu’il craint, rappelle Billy Salha, ancien dirigeant Europe de Bic, et aujourd’hui responsable des parcours pour dirigeants pour le compte de l’école lilloise Edhec. Inciter ses collaborateurs, devenir un manager coach, créateur de confiance, ça se travaille» Résultat : selon Vincent de la Vaissière, un tiers des patrons du CAC 40 se font coacher. « Les dirigeants sentent qu’il y a un besoin de questionner leur comportement, confirme Billy Salha. Et pour le modifier en profondeur, cela ne se fait pas en deux jours. » Ainsi, le cabinet Visconti accompagne les dirigeants sur la durée (six mois minimum), avec des budgets qui oscillent entre 4 000 euros et 8 000 euros par mois.  

Vincent de la Vaissière parle de « bascule », Philippe Royer, président des entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC) depuis mars 2018, évoque, lui, « un point d’inflexion » ou bien encore « une ligne de crête ». « La période a ceci de particulier qu’elle est celle à la fois de toutes les menaces et de toutes les opportunités, poursuit Philippe Royer, patron des 1 400 salariés du groupe Seenergi, spécialisé dans le conseil en élevage. Mais, ceux qui pensent qu’il faut laisser passer un peu de temps pour revenir au même endroit se trompent. » L'horizontalité, certes, mais pas en boucle.

« Le dirigeant doit-il tout donner ? »

Trois questions à Valérie Rocoplan, fondatrice et dirigeante de Talentis, cabinet de coaching individuel ou en équipe.



Le leader d’une entreprise est-il plus exposé aujourd’hui ?

Le leadership n’est plus l’apanage de quelques-uns. C’est plus diffus, réparti. Toutes les couches de l’entreprise sont concernées. Et, avec des transformations sociologiques, sociétales, digitales voire géopolitiques, le dirigeant se retrouve sous la pression croisée des actionnaires, des clients, des employés, avec des responsabilités nouvelles qui ne les effleuraient pas il y a encore cinq ans, de nouvelles thématiques comme le développement durable, la mixité…



Des questions jusque-là taboues émergent-elles ?

« Anywhere », « anytime »... On s’est peu emparé du sujet, pourtant la question mérite d’être posée : le dirigeant doit-il tout donner ? Pourquoi le dirigeant devrait se satisfaire de cette configuration ? Pourquoi ne devrait-il pas intégrer lui aussi cette notion de bien-être au travail ? Le présentéisme est à bannir. Beaucoup d’entre-eux sont proches de l’épuisement, avec des plages horaires de 7 h à 24 h. En 2008, déjà, la trajectoire de Christian Streiff, aux commandes de PSA, avait marqué les esprits. On doit l’avouer, encore aujourd’hui, « on tague le talent » que s’il est ultra-connecté.



Le rôle du dirigeant peut-il encore se complexifier ?

Être sur la brèche n’est pas facile aujourd’hui, mais qu’est-ce que ce sera, demain, en pleine ère de décroissance, avec cette ambition de respecter les droits de la planète ? Avec, aussi, des grands groupes qui travailleront, dans cinq à dix ans, avec 40 % de collaborateurs en free-lance. Comment alors arriver à engager chacun ? L’angoisse est perceptible chez certains dirigeants.

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