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Longtemps pourchassée, vouée aux gémonies voire brûlée, la sorcière est devenue une figure aspirationnelle. Débarrassée de ses oripeaux noirs et de son nez crochu, elle incarne désormais une figure de femme forte et puissante. Y compris et surtout sur les réseaux sociaux... Abracadabra !

[Cet article est issu du n°1957 de Stratégies, daté du 28 juin 2018]

 

«Tremblez, les sorcières reviennent!» prédisait un slogan féministe dans les années 1970. Sans balais, ni chapeaux, elles se réinsèrent petit à petit dans la vie de la cité, cette fois sous un éclairage plus positif. Celles que l'on vouait autrefois au bûcher se sont métamorphosées en figures féministes, avant-gardistes, écologistes et anti-capitalistes.

De la Saga à la sorcière

À l’époque du Moyen-Âge, les sorcières savaient faire autant, voire plus, que les hommes: des femmes lettrées, indépendantes, parfois les uniques médecins du peuple. «Les empereurs, les rois, les papes, les plus riches barons, avaient quelques docteurs de Salerne, des Maures, des Juifs, mais la masse de tout l'État, ou l’on peut dire le monde, ne consultait que la Saga ou la Sage-femme. Si elle ne guérissait pas, on l’injuriait, on l’appelait “sorcière”», relate Jules Michelet dans son essai La Sorcière daté de 1862. La sorcière donne la vie au travers de l’accouchement et parfois la mort, en pratiquant des avortements. Un pouvoir qui faisait peur, à l’instar d'un savoir que les hommes jalousaient secrètement. Pour ces «seuls» motifs, les sorcières seront chassées, pour les plus chanceuses, ou brûlées pendant la Renaissance. Dès l’introduction de son essai, l’historien Michelet présente la pyramide de clichés imposée à la femme de l’époque. «“Nature les fait Sorcières” - C’est le génie propre à la Femme et son tempérament. Elle naît Fée. Par le retour régulier de l’exaltation, elle est Sybille. Par l’amour, elle est Magicienne. Par sa finesse, sa malice (souvent fantasque et bienfaisante) elle est Sorcière et fait le sort, du moins endort, trompe les maux».

La sorcière, une femme indépendante

Un imaginaire qui persiste malgré les siècles et que l’on retrouve dans nos représentations actuelles. Comme le définit la journaliste Mona Chollet dans son prochain livre Sorcières: la puissance invaincue des femmes, prévu en septembre 2018, trois archétypes de la chasse aux sorcières subsistent: «la femme indépendante - les veuves et les célibataires furent particulièrement visées; la femme sans enfant - l’époque des chasses a marqué la fin de la tolérance pour celles qui prétendaient contrôler leur fécondité ; et la femme âgée - devenue, et restée depuis, un objet d’horreur ».

Du balai!

En clan ou en solo, les sorcières nouvelle génération font table rase du passé. Au placard les nez crochus, chats noirs et potions magiques. «Les personnages de sorcières sont plus modernes, donc dotées d'un physique attrayant ou en tout cas moins monstrueuses. Elles font peur aux hommes car elles arrivent à s’élever par elles-mêmes, sans l’aide d’un prince charmant sur son cheval blanc», observe l’auteure Taous Merakchi - qui écrit sous le pseudonyme de Jack Parker, des ouvrages comme Le grand mystère des règles. Certaines jouent volontairement des clichés liés à la sorcellerie, comme le groupe de militantes féministes Witch Bloc. Tout de noir vêtues et chapeautées, elles ont fait leur première apparition en France lors de la manifestation contre la réforme du code du travail de Macron. «Elles endossent consciemment le rôle de la femme qui fait peur, elles militent pour tous les gens qui ne rentrent pas dans des cases… Finalement, sorcière et militantisme, c’est une association naturelle», réalise Taous Merakchi.

Recherche de l'irrationnel

Tellement naturel que ces courants mystiques attirent les nouvelles générations. «Cette génération Harry Potter a toujours baigné dans les histoires, elle recherche l'“effet waouh”. Les formes traditionnelles imposées par les générations précédentes les saoûlent, la réalité ne leur suffit plus, elle a besoin de surréel pour se construire un imaginaire», résume Vincent Grégoire, directeur de création du cabinet NellyRodi. Et la société s’aligne sur leurs attentes. Entre l'apparition de youtubeuses sorcières comme The White Witch Parlour et Harmony Nice, les festivals entièrement dédiés au monde de la sorcellerie - comme le Witchfest et ses 5,6 millions de photos postées sur Instagram sous le #witch -, les millennials s’emparent de l'irrrationnel et l'intègrent selon leurs codes.

La sorcière 2.0 ressemble à madame Tout-le-monde, à une exception près: elle possède des pouvoirs magiques. «Il existe tellement de courants… En ce qui me concerne, il s'agit d'une spiritualité axée sur les choses qui nous dépassent, les secrets de l’univers, les astres, les ancêtres... En somme toutes les énergies qui circulent autour de nous et qu’on ne voit pas. Dans ma pratique quotidienne, je m'applique à balancer des questions dans l’univers, à écouter ses réponses, qu’elles soient bonnes ou mauvaises», dévoile Taous Merakchi.

Adepte du style mi-gothique, mi-Emo, les sorcières assument leur côté sensuel sans verdir. Bas résille, maquillage noir à outrance, jupe courte, piercing au nez et couleurs pop dans les cheveux. Sans oublier les pentagrammes, plantes médicinales, amulettes et autres jeux de tarot. Au-delà des apparences, cette génération cherche des réponses dans un monde qui s’effrite: c’est justement dans l’irrationnel qu’elle se complaît. «La place des millennials dans le monde est encore interrogée. Ils se détachent donc des religions monothéistes, des diktats pour trouver des spiritualités alternatives», explique Vincent Grégoire. En plus de faire tomber les murs, ils cassent également les codes en redéfinissant les genres, la sexualité... «Ce n’est pas une génération d’enfants gâtés comme a pu les appeler les générations précédentes, qui les a stigmatisés ainsi par jalousie face à leur liberté de choix», explique Taous Merakchi. Le chemin vers l’émancipation n’en est qu’à son début mais qui sait, peut-être les sorcières ont-elles prédit leur futur triomphe à l'aide de leur boule de cristal. Miroir, miroir...

Astrologie Addict ?

À mesure que la science avance, de nouvelles questions émergent. Pour trouver leurs propres réponses, les millennials se réfugient dans des spiritualités alternatives. «Ils sont très gourmands de significations, tout ce qui va attirer l’amour, l’argent, les bonnes ondes. Il leur faut des mantras. Alors ils se bricolent des religions à coup de symboles et de charges affectives portés sur des objets fétiches. Cela renforce leur pouvoir et leur donne plus confiance en eux pour pouvoir affronter le monde extérieur», traduit Vincent Grégoire, directeur de création à l’agence NellyRodi. Dans un monde brutal, les jeunes générations ont besoin de s’évader et les sciences occultes semblent être l’issue de secours: «Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à un recadrage des pratiques issues du New Age, très orientées vers les millennials et la génération X», explique au magazine The Atlantic, Lucie Greene, directrice du groupe innovation au sein du cabinet J. Walter Thompson. Portés par l’ère d'internet, les sites et les applications d’astrologie bénéficient de ce renouveau attractif. Broadly, la verticale au féminin du site d’information Vice, connaît une augmentation en termes de trafic sur sa page horoscope au ton décalé, rédigée par la journaliste Annabel Gat. De son côté, l’application Co-Star, délivrant un horoscope hyper-personnalisé basé sur les données de la Nasa, a remarqué qu’en moyenne ses utilisateurs ont 22 ans et sont de sexe féminin. «Nous en venons à chercher du sens dans la folie, ne serait-ce que pour y voir le signe d’un acte de foi», explique Banu Guler, fondatrice de Co-Star. «Il s’agit de se raccrocher à quelque chose pour se définir, mais les millennials ont compris qu’il fallait garder une forme d’autodérision dans cet ésotérisme», approfondit Taous Merakchi. Mais comme le dit si bien l’adage, parfois le hasard fait bien les choses.

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