Internet
Le dirigeant de Sigfox, l’opérateur français de l'internet des objets, veut connecter la planète entière.

Quelle est la réalité de l’internet des objets?

Ludovic Le Moan. L’internet des objets est souvent résumé aux produits connectés pour le grand public comme les bracelets, brosses à dents, etc. Mais tout cela est encore très geek, le rapport utilité-prix n’est pas terrible, bref, c’est en devenir. L’internet des objets est aussi plus profond. Il touche à l’industrie. Nous travaillons par exemple avec Bosch, Engie, Samsung ou Total, qui veulent relier leurs équipements à leur système d’informations pour améliorer les process, réduire les coûts d’exploitation, inventer de nouveaux services… Dans ce secteur-là nous avons déjà atteint la maturité.

Voulez-vous connecter tous les objets possibles?

L.L.M. Oui. Le prix de la connectivité va devenir si bas que refuser de rendre un objet communicant n’aura plus de sens. Avoir des chaises connectées est intéressant pour un grand groupe qui en gère des milliers et peut ainsi en mesurer le taux d’usage. Un restaurant peut voir en temps réel ses flux et gérer plus finement ses réservations…

Est-ce que le grand public le voit arriver ?

L.L.M. Le véritable internet des objets arrive de façon insidieuse : c’est lorsque les industriels analysent les usages du public à partir des données anonymes, pour améliorer le fonctionnement des produits pour intégrer des services intelligents, comme une assistance aidée par un algorithme. Ce dernier point constitue la phase d’après, où la technologie s’efface, sans action particulière.

Comment communiquer sur cette technologie ?

L.L.M. En expliquant qu’elle permet d’augmenter le pouvoir d’achat. Il ne s’agit plus d’acheter un objet, mais de louer un service adapté à nos usages, car intelligent. Donc, on réduit le coût. Cela pénétrera le quotidien de façon hyper simple.

Des économies, mais au prix de la vie privée ?

L.L.M. Il y a des personnes qui ne sont pas à 20 euros près et préfèrent leur liberté. Mais d’autres le sont, et elles prendront ce gain au détriment, entre guillemets, d’une sorte de liberté. J’ai le sentiment que tout va s’immiscer dans notre quotidien à travers le prisme du prix et du confort que cela apporte. Parce que c’est cool, on va les accepter. Le système apprend de nos usages, l’environnement s’automatise et nous libère du temps. C’est un peu comme le GPS qui nous a économisé la préparation de nos voyages.

Entrons-nous dans un nouveau paradigme ?

L.L.M. Nous y sommes déjà, puisque la récolte et l’analyse des données par l’intelligence artificielle existent. Cela va s’accentuer avec l’internet des objets où nous aurons des informations en temps réel et verrons ce que vous faites, corrèlerons des comportements avec ceux d’autres personnes.

Quid d’une nouvelle fracture numérique ?

L.L.M. Ceux qui font des produits ont besoin d’un marché. C’est un peu cynique, mais il faut toucher assez de personnes pour additionner les petits revenus. C’est l’enjeu du digital. Donc on ne peut pas s’arrêter à une minorité.

Cette hyper-maîtrise ne vous effraie-t-elle pas ?

L.L.M. Non, car je suis persuadé que l’homme n’existe pas. Nous sommes des avatars d’un système plus grand et l’humanité telle qu’on la conçoit est dans un simulateur comme le défend Elon Musk avec la théorie de la simulation. Nous tendons vers un point de singularité [cf. le transhumanisme de Ray Kurzweil] où la forme physique de l’être humain n’aura plus d’intérêt et on convergera vers une pure virtualité. On sera des machines quantiques.

Quelle place reste-t-il à l’humain selon vous ?

L.L.M. Pour moi, l’humain est un robot. Une machine avec des composants et un cerveau qui prend des informations extérieures dans le grand cloud qu’est notre environnement. Nos actions sont guidées par des données qui sont interprétées par un programme local. Nos robots sont encore un peu naïfs mais avec le quantique, le scan d’ADN, on refera l’humain comme un Lego.

Pourquoi voulez-vous réaliser cette vision ?

L.L.M. Je pense qu’on répond à une question fondamentale qui est de reproduire notre propre existence ad vitam aeternam. Je cultive cette théorie de la simulation depuis trente ans et la convergence des NBIC me donne raison. Ce qui est excitant, je trouve, c’est de travailler sur notre propre genèse.

Dans ce scénario, quel est le rôle de Sigfox ?

L.L.M. Nous contribuons à connecter le monde réel au virtuel, en simplifiant la connectivité. À terme, chaque élément qui nous entoure aura son pendant dans le cloud. Le monde sera virtualisé dans le cloud, nos actions anticipées par des algorithmes. Cela tendra à démontrer que tout cela n’est pas réel. Sigfox a pour enjeu d’utiliser les ondes avec le moins d’énergie. Tout est onde, même dans les cellules de notre corps. Si demain on capture ces signaux, on pourra décoder tous les signaux des êtres humains, y compris ceux émis par le cerveau. Un bracelet pourra les écouter et les interpréter.

Parlez-vous de cela à vos investisseurs ?

L.L.M. Concrètement, nous n’en sommes pas encore là. Nous n’avons pas d’équipe sur ces sujets. Cela reste de la prospective. Les investisseurs [Air Liquide, Bpifrance, Intel, Samsung, Total…] s’intéressent à l’offre actuelle. Après, cela peut faire peur aussi, donc on a une approche pragmatique. Si la société se développe bien, on investira en recherche et développement.

Qui s’occupe de l’éthique, finalement ?

L.L.M. C’est le marché. L’État émet ce qu’il veut comme règles, mais face à Google et d’autres, c’est une grande hypocrisie de vouloir tout gérer. Des services gratuits financés par la publicité, c’est ce qu’on a trouvé de mieux.

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