Portrait
C'est désormais dans Le 1, magazine le plus utopiste de la décennie, qu'il relate les maux du monde. Portrait d’un journaliste inventif qui a dédié sa vie aux mots tout en sachant laisser son esprit en roue libre pour mieux inventer.

Il est de doux rêveurs qui fuient la réalité. Et d’autres qui s'évertuent à confronter leurs songes aux rudesses du monde. Depuis toujours, Éric Fottorino tente le coup, adepte du « chiche » ! Il y a quatre ans, il a créé avec Laurent Greilsamer et Natalie Thiriez « le plus grand journal du monde » comme l'écrit l'AFP lors du lancement : une feuille A4 qui, dépliée, a la surface de 8. C'est Le 1 : une heure de lecture et les points de vue singuliers de journalistes, d'essayistes, de romanciers et de chercheurs sur un seul sujet. Avec 40 000 exemplaires vendus chaque semaine, Le 1, projet utopiste, s'impose comme un succès à l'heure où la presse papier peine à survivre. Et il emballe les jeunes : sur les 20 000 abonnés, 4 000 ont moins de 20 ans. En 2018, 1 200 CDI (centres de documentation et d'information) sont abonnés contre 800 en 2017. Rentable depuis deux ans, la marque Le 1 se décline aussi en collections de livres, l'autre domaine de prédilection d'Éric Fottorino, auteur de nombreux romans et essais. Baptisée « La plume dans la plaie », en hommage à Albert Londres, la prochaine collection proposera des enquêtes journalistiques fouillées de 150 000 signes. Et un recueil sur la séduction, avec des nouvelles d’Olivier Adam, de Véronique Olmi et de David Foenkinos, sera publié avant l'été. Le succès du 1 a aussi permis la naissance d’America, la revue trimestrielle de son compère François Busnel qui scrupte l'Amérique du mandat de Trump.

Ascendant inspiration

Depuis qu'il est enfant, Éric Fottorino rêve les yeux ouverts. D’abord de triomphe sur les Champs-Élysées. « J’étais un cycliste amateur et je voulais passer pro pour gagner le Tour de France. Mais je n’avais pas l’étoffe d’un champion », raconte-t-il si posément qu’on se demande comment il aurait vécu la liesse des foules. Puis de devenir journaliste. « C'était une utopie. Mon histoire personnelle n’était pas liée à la presse ou à l’écriture. » Il naît à Nice en 1960, fils naturel d’un gynécologue juif marocain. À 10 ans, le kinésithérapeute tunisien qui épouse sa mère, infirmière, l’adopte. Il endosse son patronyme et devient Éric Fottorino. Il choisit le droit, comme pour y voir plus clair dans cette ascendance complexe qui lui donnera la matière de nombreux romans. Le prochain, Ma mère sortira chez Gallimard en septembre.

Après la fac de La Rochelle, il s’installe à Paris pour faire Sciences Po. « La première fois que j’ai pensé que le journalisme pourrait devenir mon métier, c’est lorsque j’ai envoyé au Monde un papier sur l’article 16 de la Constitution. Je l’avais écrit à la main sur une copie à carreaux perforés. » La bouteille à la mer arrive à bon port. Son article est publié trois semaines plus tard. « Quand j’ai vu mon nom dans ce journal, cela a été comme une nouvelle naissance. J’ai voulu y voir un signe. Cinq ans plus tard, j’y suis entré. » Il y travaille de 1986 à 2011 et y remporte une revanche personnelle. « En 2001, Jean-Marie Colombani me demande d’imaginer un format pour couvrir le Grand Prix du Midi libre, (dont le journal a été racheté par le groupe Le Monde). Je lui ai dit, “j'ai une idée tellement folle et tu vas crier en l’entendant : qu’un journaliste participe à la course et en fasse le récit.” Et j'ai ainsi vécu pendant une semaine une aventure utopique très physique, relatée chaque jour dans les colonnes du journal.»

De l'exhaustif au séléctif

Le même Colombani lui demande en 2005 « de réinventer le Monde ». « Vous vous rendez compte ? s’amuse-t-il. Il imagine le nouveau Monde en papier au temps du numérique en imposant une mutation majeure : l'abandon de l’exhaustif pour le sélectif. Sortie en 2006, la formule relance les ventes alors que le journal avait perdu 50 000 acheteurs. En 2011, peu après l’arrivée des nouveaux actionnaires Matthieu Pigasse, Xavier Niel et Pierre Bergé, il est remercié. Mais un autre dirigeant d’entreprise, Henry Hermand, qui a fait fortune dans la grande distribution, lui donne carte blanche pour bosser sur un projet et l’épater. Il planche d’octobre 2012 à juin 2013 avec Laurent Greilsamer et Natalie Thiriez. Ce sera Le 1. Henry Hermand les pressait de réussir du haut de ses 90 ans. « Un mois pour vous, c'est un an pour moi. » Il est mort en ayant eu la satisfaction de voir ses deux derniers rêves devenir réalité : Le 1 et l'élection d'un jeune homme qu'il jugeait prometteur : Emmanuel Macron. 

Parcours

1983. Décroche son dîplome à Science Po et fait des piges à Libération.

1986-2011. Entre au Monde comme journaliste spécialisé dans les matières premières.

1991. Publie son premier roman Rochelle, dix autres suivront.

1998.  Nommé rédacteur en chef au Monde après avoir été grand reporter et spécialiste de l'Afrique.

2006. Devient directeur de la rédaction puis président du directoire.

2014. Parution du 1 le 9 avril.

Mars 2017. Crée la revue America avec François Busnel.

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