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Dans un contexte post-covid, les agences de communication santé continuent de monter en compétence sur le digital, se renforcent sur le medical education (meded) et l’accompagnement corporate. Un article également disponible en version audio.

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La communication santé ne faiblit pas. « Les agences ont connu une année 2022 assez stable par rapport à 2021, année de rattrapage sur la crise du covid », analyse Thierry Kermorvant. Ce dernier, docteur, dirige VMLY&R Health et préside la délégation santé de l’AACC (22 agences membres, bientôt rejointes par une 23e). Les communicants interrogés assurent vivre un début d’année réjouissant. « Nous avons remporté huit budgets entre décembre et janvier : moitié de gains français, moitié internationaux », se félicite Matthias Moreau, CEO de Publicis Health. Cependant, aucun ne se montre trop optimiste pour 2023 en cette période d’inflation, sur fond d’incertitudes économiques. « Bien malin celui qui peut prédire ce que sera le marché au-delà de six mois », lance Fabrice Préau, directeur du département santé de BCW France (WPP). Comme d'autres secteurs, les laboratoires pharmaceutiques pâtissent de la hausse des coûts de l’énergie, en plus des problèmes de pénuries sur certains médicaments.

Mais pas de quoi inquiéter les communicants pour qui l’avenir de l’industrie reste prometteur. D’ailleurs, le plan Innovation Santé 2030 du gouvernement prévoit une enveloppe de 7 milliards d’euros. Son ambition : faire de la France une locomotive européenne dans la santé. Quant aux investissements mondiaux en R&D, ils ne cessent de croître, en particulier en oncologie et immunologie. Ces innovations amènent des besoins accrus en communication, qu’il s’agisse de « campagnes médicament », nécessitant un contrôle préalable obligatoire de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) ou de « campagnes environnement », qui ont une visée informative, voire pédagogique, avec une interdiction stricte de nommer le produit. Car la communication santé est très réglementée en France. « Des concepts trop publicitaires proposés par des agences généralistes peuvent être retoqués par l’ANSM », prévient Marie-Ange Faure, directrice de l’agence Effiscience.

« Nous avons une connaissance très fine de notre système de santé qui est un univers très codifié », appuie Alexandra Rossi, directrice associée de l’agence Bosphore. Pour autant, ces contraintes réglementaires ne sont pas perçues par les professionnels comme un frein à la créativité, bien au contraire. D’ailleurs, de nouveaux supports dans le medical education (meded) se développent comme les podcasts, les serious games ou les contenus « snackables » (souvent des vidéos courtes). Pour Alex Bruère et Frank Leroux, coprésidents de l’agence Les Darons, la créativité est même « une question de respect » envers des médecins qui courent après le temps. Sous-entendu, ces derniers ne peuvent être interrompus qu’avec des concepts créatifs intelligents. Selon eux, l’humour peut aussi être un levier pour faire passer des messages à la population. En guise d’exemple, ils citent une websérie de trois épisodes réalisée pour le laboratoire Mylan en 2019. Intitulée « Very Bad Fuite », en référence au film Very Bad Trip, cette websérie met en scène les déboires de trois quinquagénaires dans le but d'inciter les hommes de plus de 50 ans à aller consulter leur médecin pour prévenir l’hypertrophie bénigne de la prostate.

Toujours sur le plan de la créativité, Frédéric Maillard, président de l’agence FMad, estime qu’elle revêt une importance capitale lorsqu’il s’agit de santé. « La campagne se doit d’être efficace pour sensibiliser les médecins à certaines pathologies. Une campagne moyenne, qui ne retient pas l’attention, c’est ensuite moins de patients dépistés. Nous avons donc une vraie responsabilité », développe-t-il. Les agences de communication santé sont d’ailleurs toutes composées de passionnés qui trouvent du sens dans leur métier et se sentent utiles, à en croire leurs dirigeants. Ces agences ont d’ailleurs la particularité d’embaucher des profils hybrides, entre science et marketing. Il n’est pas rare d’y croiser des médecins ou docteurs en pharmacie. Pour la délégation santé de l’AACC, il y a un vrai enjeu d’attractivité de ces profils, notamment dans la conception-rédaction médicale.

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Outre leur rigueur scientifique et leurs connaissances juridiques, on demande aussi à ces agences spécialisées d’être en mesure d’adresser plusieurs cibles, aussi bien des professionnels dans tous les métiers de la santé que le grand public. « Dans le passé, on séparait les approches B to B et B to C. Désormais, on essaye d’intégrer les deux cibles, médecins et patients, dans une mécanique d’ensemble, même si on ne les engage pas de la même manière avec les mêmes outils », remarque Matthias Moreau. La campagne de l’agence Strategik & Numerik (groupe La Phratrie) pour Organon Originals illustre bien cette tendance. « Durant l’été 2021, on a fait savoir aux médecins que le laboratoire Organon allait proposer 22 médicaments au prix de leur générique. Le grand public a lui été averti grâce à une déclinaison de la campagne sur les réseaux sociaux et en spots radio », relate André Darmon, directeur de l’agence.

Les clients de ces agences spécialisées sont aussi plus en demande de l’ajout d’une dimension corporate à leurs campagnes. Avant la crise du covid, les laboratoires pharmaceutiques n’avaient pas forcément bonne presse auprès des Français, entre scandales sanitaires et prix des médicaments. « Les laboratoires sont sortis du bois grâce au covid. Cela a permis de les revaloriser, aussi bien dans leur rôle en santé publique ou sur leur participation à l’économie du pays. Désormais, un certain nombre communiquent davantage sur ce qu’ils font et sur comment ils le font », observe Alain Sivan, CEO de TBWA/Adelphi et de DDB Health. « Pendant plus de deux ans, la santé a été au cœur de toutes les attentions médiatiques, politiques et familiales. Par-delà l’actualité du covid, on a constaté une résurgence importante de la désinformation, nécessitant en premier lieu l’apport de données fiables et vérifiées », décrypte Anne-Cécile Thomann, co-CEO d’Edelman France. Dans ce contexte, les clients des agences de communication santé, aux prises de parole légitimes, ont pu délivrer des informations, en particulier aux personnes atteintes de pathologies pour qui le covid a pu engendrer de l’anxiété. 

Comme dans tous les secteurs, la communication RSE gagne en importance. « Il y a une attente de la part de la société civile et des sphères politiques. On attend des industriels qu’ils se mobilisent et apportent des réponses, comme par exemple sur le développement durable ou sur les partenariats publics/privés », souligne Fabrice Préau. Ce à quoi on peut également ajouter l’enjeu de relocalisation de la production des médicaments pour l’établissement d’une souveraineté nationale. « La démocratie sanitaire fait monter en puissance les voix des associations de patients et des usagers de la santé », remarque Laurence Jacquillat, directrice générale de LJcom. Elle ajoute : « Les responsables politiques de proximité doivent affronter les problèmes de démographie médicale et là encore les prises de parole sont nécessaires. Rendre audibles toutes ces voix fait partie des nouveaux défis que nous pouvons relever. »

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Pour ces enjeux de relations publics, les communicants disent emprunter de nouveaux canaux de communication comme LinkedIn, le réseau social professionnel par excellence. De l’avis de tous les professionnels, le covid a fortement accéléré la transition numérique du secteur. « L’une de nos premières décisions en 2020 a été de digitaliser notre offre. Nous avons créé une “Oncology Press Room by Ljcom”, à l’occasion d’un congrès américain de cancérologie, avec des conférences en ligne, en direct de Chicago, pour décrypter avec des médecins et des experts les dernières innovations présentées au congrès », se remémore Laurence Jacquillat. Son agence vient d’ouvrir un département sur le digital et de recruter un directeur pour celui-ci. La digitalisation du monde de la communication santé se traduit par une perte de vitesse des visiteurs médicaux et « de plus en plus d’investissement dans le social media », constate Julie de Folleville, directrice associée de RCA Factory. Pour autant, « les laboratoires se montrent encore parfois frileux quant à l’usage des réseaux sociaux », tempère Laurence Sergheraert, directrice de Com & Health, notamment en raison d’un possible manque de maîtrise pouvant mener à des crises réputationnelles. 

Les annonceurs hors champ médical peuvent davantage se permettre une excursion sur les réseaux sociaux. Grégory Dubourg, directeur général de Nutrikéo, cite notamment des DNVB dans les compléments alimentaires (Aime, D+ for care…) qui empruntent les voies du social marketing. Les professionnels sont d’ailleurs partagés quant au recours à l’influence. À l’heure actuelle, 1 600 créateurs de contenu dans le domaine de la santé officient sur Instagram, TikTok et YouTube, selon les données de Reech. Une tendance qui augure l’ouverture du business vers des annonceurs dans des secteurs comme l'alimentaire ou la dermocosmétique. « Il y a des marques hors du champ classique de la santé qui tendent à "santéiser" leurs offres ou leurs produits », conclut Stéphane Perrot, directeur général de Serviceplan France. Une chose est sûre : la communication santé fera le plein de vitamine D en 2023, D comme digital. 

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