Dossier SANTÉ

Montée en puissance des docteurs en pharmacie, campagnes d’influence à destination du grand public, menace de la désinformation… Le secteur de la communication santé s’adapte à son nouvel environnement.

C’est une histoire rapportée par Le Parisien : en Inde, une actrice suivie par 1,3 million de personnes a simulé son décès sur son compte Instagram. Un texte sur fond noir publié le 2 février annonçait que Poonam Pandey, âgée de 32 ans, avait succombé à un cancer du col de l’utérus. L’information a alors été reprise par les médias indiens, qui se sont émus de sa disparition. Mais le doute s’est immiscé après que la star a été aperçue en pleine forme sur un bateau à Goa. Le lendemain, Poonam Pandey réapparaissait sur Instagram, les yeux embués de larmes, expliquant sa démarche dans une courte vidéo. Son souhait était de sensibiliser les femmes au cancer du col de l’utérus, de les informer sur l’existence des tests de détection précoce et du vaccin contre les infections à papillomavirus (HPV), responsables de ce type de cancer. Orchestrée par l’agence social media Schbang, l’opération devenue virale a fait polémique. Le « stunt » (coup de communication) a été jugé d’assez mauvais goût, bien qu’il ait permis de faire parler du cancer du col de l’utérus, qui tue plus de 77 000 femmes en Inde chaque année.

« C’est toujours délicat de faire de l’influence sur un sujet de sensibilisation », préviennent d’entrée de jeu Mathieu Galloux et Olivier Martin-Dupray, cofondateurs d’Addiction Agency, une agence de communication qui réalise la moitié de son chiffre d’affaires dans la santé. Et pourtant, cela se fait de plus en plus, d’autant que certains professionnels produisent des contenus pédagogiques, comme le chirurgien-dentiste Dr. Never, le kinésithérapeute Major Mouvement ou Marine Lorphelin, ancienne Miss France devenue médecin généraliste. « L’idée pour nous, c’est d’être dans une communication respectable. L’influenceur est un ambassadeur qui s’approprie le sujet. C’est quelqu’un avec une légitimité, dont la communauté, en affinité avec la cause, sera d’autant plus réceptive », poursuivent-ils.

Ainsi, Addiction Agency travaille actuellement pour le laboratoire Abbvie sur les MICI (les maladies chroniques inflammatoires de l’intestin), qui touchent les jeunes. « Nous allons donner des conseils pour mieux vivre avec ces maladies, via le #MICIReact, et des créateurs de contenus sur TikTok identifiés pour parler du sujet », informent les dirigeants. La campagne, qui sortira le 15 mars, sera conçue avec l’association AFA. « Nous travaillons toujours conjointement avec les associations de patients référentes pour que le message soit juste, audible et référencé, car sans ça, il est facile de faire fausse route et de ne pas sonner juste », ajoutent-ils.

« Aujourd’hui, les dispositifs de communication fédèrent l’ensemble des parties prenantes : les professionnels de santé, les laboratoires pharmaceutiques, les patients et associations de patients », appuient Julie de Folleville et David Réguer, respectivement directrice générale et président-fondateur de l’agence de communication santé RCA Factory. Pour Sanofi, l’agence conçoit depuis 2022 des masterclass de sensibilisation auprès des diabétiques de type 1. En 2023, la masterclass #GoodVibesGoodDiab avait pour thème l’impact du sport sur la maladie.

« Nous avons fédéré des KOL [key opinion leader] et des influenceuses, des patientes diabétiques qui ont des communautés sur Instagram ou TikTok (Coco and Podie, Alizée Agier et Célia.dhn), ainsi que des représentants d’association de patients », expliquent-ils. La masterclass s’est déroulée le 16 octobre 2023 à Paris au sein de l’accélérateur de start-up e-santé Future4Care. Concernant plus particulièrement la cible des médecins, RCA Factory va lancer en mars un observatoire de leurs usages, notamment digitaux, avec l’aide de l’éditeur de contenu médical Mediscoop. « Le professionnel de santé est un acteur clé qu’on essaye d’engager autrement, alors qu’il reçoit de moins en moins de visiteurs médicaux », commente de son côté Vincent Bodoria, managing partner de Publicis Health.

Nouvelle cible

Ce dernier note l’émergence d’une nouvelle cible des communications : les docteurs en pharmacie. « Lors de la pandémie, on a redécouvert le pharmacien dans sa capacité à dépister et vacciner. Actuellement, il y a de plus en plus une volonté de simplifier le passage de l’hôpital à la ville, le pharmacien a donc un rôle à jouer dans la prévention et le suivi. C’est aussi lui qui dispense le médicament, l’approvisionne, on a donc besoin de l’intégrer à nos conversations pour être sûr que le médicament est rendu disponible dans son officine », argumente Vincent Bodoria.

D’autant que les professionnels de santé demeurent la source d’information la plus apprenante en matière de santé pour 89 % des Français, d’après le dernier Baromètre des tendances santé de BVA, et c’est également la plus fiable pour 92 %. Internet est un vecteur d’information santé important pour près des deux tiers des Français, tout en étant perçu comme un foyer de fake news. « Il y a de plus en plus de voix qui peuvent désinformer, parfois jusqu’au complotisme. Alors, quand on est communicant, on doit évaluer ce risque et réfléchir à une stratégie pour que la raison se fasse entendre », souligne Mai Tran, directrice du MBA Communication santé de l’Efap.

Très fréquemment les campagnes sont pensées en miroir avec, dans un premier temps, une phase de sensibilisation des professionnels de santé puis, dans un second temps, une phase de sensibilisation du grand public. « Généralement, on fait ça pour préparer et améliorer le dialogue entre patients et professionnels de santé, pour que ces derniers soient plus au fait des nouveaux traitements lors des consultations », explique-t-on au sein d’Addiction Agency. Pour le laboratoire UCB, l’agence a par exemple déployé une campagne à destination des médecins généralistes et dermatologues courant 2023 pour les sensibiliser à l’amélioration esthétique du psoriasis grâce à un traitement.

Pour leur démontrer le poids du regard sur cette maladie de la peau, Addiction Agency a réalisé un stunt : l’agence a piégé une classe de dessin de nu à l’école d’art des Gobelins et les réactions stupéfaites des étudiants (à la vue d’un corps couvert de psoriasis) ont été filmées. La vidéo a ensuite été diffusée sur LinkedIn et des kits de faux tatouages de psoriasis ont été distribués aux médecins. Le grand public sera sensibilisé courant 2024.

Logique de sensibilisation

Chez Havas Red Health, Roxane Philippe, sa directrice générale, et Jeanne Bariller, sa directrice déléguée, évoquent également une évolution dans l’approche des RP santé. « On n’est plus sur une logique de communiqué de presse mais bien dans une logique de campagne de sensibilisation. On se questionne : comment faire monter tel sujet dans le débat public ? », explique Jeanne Bariller.

Par exemple, en janvier 2024, l’agence a mené la campagne #ChoisirPsychiatrie pour le Collège national des universitaires de psychiatrie (CNUP), avec deux associations étudiantes (Anemf et Affep), et ce, alors que la spécialité est délaissée par les étudiants en médecine. Pour redonner de la clarté et de l’attrait à la profession de psychiatre, Havas Life a ainsi réalisé le film La psychiatrie sauve des vies. En parallèle, l’agence santé du groupe Havas a fait résonner la cause avec un baromètre CSA dévoilant les idées reçues sur la psychiatrie et l’organisation d’un temps d’échanges entre toutes les parties prenantes.

Du côté de l’agence de communication santé Les Darons, un autre enjeu se fait jour : l’ouverture du portefeuille client à des marques qui peuvent « sensibiliser les consommateurs à des sujets de santé », défendent Alex Bruère et Frank Leroux, coprésidents de l’agence. Et ce, même lorsqu’on est une marque de sucreries comme Pierrot Gourmand pour laquelle l’agence a conçu en mai 2023 une campagne digitale engagée contre la consommation d’écran par les enfants, visant à démontrer l’importance de l’imaginaire et des jeux traditionnels pour leur développement cognitif et leur santé mentale.

Enfin, du côté de la formation, Aude Castel, directrice pédagogique du MBA Marketing et communication santé à De Vinci Executive Education, relève les défis à venir pour les communicants santé : « Nous avons introduit deux cours sur l’intelligence artificielle en 2024 : l’un sur le branding, l’autre sur l’utilisation de l’IA pour gagner en pertinence et performance », indique-t-elle. De nouveaux horizons s’ouvrent pour le secteur.

Les Français évaluent leur santé

32 % des Français déclarent se sentir moyennement en forme (dont 9 % pas ou peu en forme), d’après le Baromètre des tendances santé de BVA publié fin 2023. Quatre sondés sur dix affirment prendre des traitements au long cours, principalement pour l’hypertension artérielle, le diabète, l’arthrose et l’asthme. Alors que l’état de santé global semble ne pas s’être dégradé par rapport à 2019, les Français se montrent plus pessimistes qu’à cette époque quant à leur état de santé futur. En effet, huit Français sur dix, principalement les femmes, les personnes âgées de 35 à 49 ans et les CSP+, prévoient que leur santé va se dégrader au cours de la décennie. 28 % des Français s’inquiètent de l’émergence de nouvelles épidémies.

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