Comme d’autres Premiers ministres avant lui, Gabriel Attal a été contraint d’utiliser le mot tabou : rigueur. Mais la version 2024 du plan de réduction des dépenses publiques restera particulière, tant la communication de l’exécutif a été chaotique.

Sur le strict plan de la communication, ceux qui se souviennent de leur histoire politique n’auront rien trouvé d’inédit à la séquence vécue ce mois-ci relative au déficit budgétaire. L’épisode habituellement baptisé « plan de rigueur » s’est donc déroulé une nouvelle fois sous nos yeux. Comme en 1976 avec le plan Barre mis en œuvre par celui que l’on présentait alors comme le meilleur économiste de France, comme en 1983 ou le gouvernement socialiste dut se résigner au tournant de la rigueur, comme en 1995 quand le plan Juppé enterrait rapidement la campagne électorale de Jacques Chirac autour de la « fracture sociale », Gabriel Attal a été contraint lui aussi d’utiliser le mot rigueur, mot tabou et mot briseur de rêves.

Pas de « voyage en terre inconnue » donc, tant le scénario était connu, du déni à la dramatisation. Mais c’est vrai que la version 2024 du plan de réduction des dépenses publiques restera comme un millésime particulier, tant la communication de l’exécutif a été chaotique.

Un décalage rare

Au début, tout s’explique, ou au moins s’entend. Le 19 février, le ministre de l’Économie annonce que la croissance est revue à la baisse et qu’il faut trouver 10 milliards d’économies supplémentaires. La potion ne semble pas trop amère puisqu’elle porte alors en premier lieu sur les dépenses de l’État. Patatras, la Cour des comptes vient sonner l’alerte en évoquant plutôt 5O milliards à trouver, son président qualifiant quelques jours plus tard de « très, très rare » l’ampleur du décalage dans la prévision du déficit (au final 5,5 % du PIB contre 4,9 initialement). Le soupçon d’insincérité vient alors encoder négativement la séquence et ajouter une pierre au discrédit de la parole publique. De plus, la situation nouvellement créée prive la majorité dans une campagne électorale déjà difficile de l’argument de la crédibilité qu’il déniait au RN. Enfin, elle laisse deviner que les réformes de la fin du quinquennat devront se faire à « 0 euro ».

L’annonce subite d’une réunion à l’Élysée, le 20 mars, vient apporter un sentiment d’imprévision et colore en gestion de crise les jours suivants. Mais c’est le 20 heures de TF1 du Premier ministre qui fait tanguer l’édifice. En centrant son propos sur une nouvelle réforme de l’assurance chômage, l’exécutif semble vouloir faire porter l’effort anti-déficit sur les demandeurs d’emploi. Alors que dans son objectif, lutter contre les abus, ce projet bénéficiait d’un soutien de l’opinion, la perception de son utilisation comme palliatif à l’erreur de prévision risque fort de se retourner contre le gouvernement. D’autant plus que le volet « justice sociale » du plan d’économie apparait bien discret.

Mais au-delà de la double difficulté, celle de l’exercice budgétaire sous l’effet des crises, et celle de la complexité de l’exercice de communication, on peut se demander si en repoussant l’échéance de la réduction des déficits, les responsables politiques n’ont pas intériorisé trop fortement l’équation rigueur égal impopularité. L’évidence est évidemment favorable à ce raisonnement ; la dépense est plus populaire que l’économie. La dureté des temps ne va-t-elle pas effriter ce dogme ? Confrontés depuis deux ans à une inflation oubliée depuis des décennies, inquiets pour leur avenir et celui du modèle social, les Français ne seront-ils pas enclins à écouter différemment les discours sur la réduction de la dette et à mettre à distance ceux qui feraient l’impasse sur le sujet ? Ne prêteront-ils pas une oreille plus attentive aux discours construits sur de fortes priorités budgétaires plutôt qu’à la dispersion et au saupoudrage des politiques publiques ? La rigueur ne fera pas gagner une élection, mais le déni budgétaire pourrait devenir éliminatoire. Raison de plus pour faire le choix de la transparence et de la vérité.

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