Tout droit importée du Japon, l’otome est une catégorie de jeu dont le but est de développer une relation romantique avec un personnage. Un genre qui séduit de plus en plus le public français. Un article également disponible en version audio.

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Il a les cheveux rouges, une veste en cuir, un air arrogant, et vous prend de haut si vos réponses l’ennuient. En bref, il est l’incarnation du bad boy. Son nom ? Un dénommé Castiel. Son rival est Nathaniel, le délégué de classe, un blond charmant toujours prêt à rendre service aux professeurs et aux élèves. Ces deux protagonistes font partie des personnages aussi appelés « coups de cœur » dans le jeu Amour Sucré. Le principe est simple : les joueuses et joueurs suivent une trame narrative dans laquelle ils incarnent une lycéenne qu’ils peuvent personnaliser. La gameuse ou le gamer devra choisir des réponses dans un dialogue, ou dans une situation, qui lui feront gagner ou perdre des affinités avec les différents love interest de l’histoire. La finalité étant de prendre les décisions les plus adaptées en fonction du caractère du personnage. Ce jeu fait partie des otome, un genre de jeu vidéo japonais qui s’est popularisé en dehors de l’Asie dans les années 2000.

« L’otome game est techniquement un sous-genre de ce qui peut s’appeler le visual novel/livre interactif. Il y a un côté littérature de romance, fictif, qui peut se retrouver via l’otome. Ça rejoint la new romance qui est en pleine explosion depuis ces dernières années », explique Camille-Molly Martin, narrative designer. En France, ce type de jeu se développe davantage en 2011 avec Amour Sucré, créé par Chinomiko, alias Stéphanie Sala, qui l’a proposé au studio nantais Beemoov, déjà implanté avec Ma Bimbo sorti en 2007. Un projet de passion pour cette ancienne assistante vétérinaire : « J’aimais beaucoup ces jeux, mais il n’y en avait peu qui étaient traduits. Alors, en partant de ce point et avec mes bases en dessin, j’ai proposé le projet à Beemoov qui y a cru. L’univers rappelle ceux des Shojo [type de manga adressé à un public féminin], avec le truc typique de la lycéenne tout le temps dans les couloirs. Quand j’ai présenté le projet, j’avais pensé aux personnages, mais aussi au système de jeu avec les déplacements et les illustrations. » Aujourd’hui, plus de 119 millions de personnes sont inscrites sur au moins l’un des jeux du studio nantais, parmi lesquels Eldarya, Moonlight Lovers, Le Secret d’Henri

Un phénomène cyclique

Ces jeux adressés à un public plutôt féminin et assez jeune – même s’ils tendent à se destiner à tous – connaissent plusieurs cycles. Pour beaucoup, les joueuses et les joueurs découvrent ces otome à l’adolescence, mais finissent pas être bloqués par le modèle freemium, c’est-à-dire qu’à un moment donné, il leur faudra dépenser de l’argent pour avancer dans l’histoire, ou attendre un certain temps pour continuer gratuitement. Et c’est quelques années plus tard, lorsqu’ils possèdent plus de ressources financières, que l’envie de reprendre fait à nouveau surface. C’est le cas d’Amel, joueuse active depuis des années, qui consacre son compte X (ex-Twitter) @ezarelsgf aux jeux Beemoov et participe à développer la communauté sur le réseau social : « J’ai connu Amour Sucré quand j’étais en primaire, mais comme je n’étais pas patiente et qu’il fallait payer pour avancer, j’ai vite lâché. Je m’y suis vraiment remise il y a environ trois ans. À ce moment, personne dans mon entourage y jouait et peu de gens en parlaient sur Twitter. La communauté était surtout présente sur TikTok, Facebook, et Instagram. De temps en temps, je tombais sur des tweets de personnes qui en discutaient et ça m’a donné envie d’en parler », raconte-t-elle.

Depuis quelques semaines, de plus en plus d'utilisatrices et d'utilisateurs s’expriment sur le jeu, et un Discord consacré aux créations Beemoov regroupe environ 950 membres. Des jeux de niche sont également remis au goût du jour grâce à des streameuses et streamers comme Ultia, Maghla et dernièrement Linca qui les font (re)découvrir à leur communauté. « Je me demande aussi si ce n’est pas une trend cyclique. Typiquement, Squeezie avait streamé Linda Brown il y a quelque temps, pas la meilleure référence de jeu, mais c’était un pas dans la visibilité de ce genre de contenus », poursuit Camille-Molly Martin.

Des motivations diverses

Une façon de jouer à travers eux, et de démocratiser ce type de gameplay qui plaît pour différentes raisons : « Si on prend le profil large de la joueuse de 10 à 25 ans, il y a ce côté de découvrir une romance que tu ne connais pas forcément, ou pas encore dans ta vie personnelle, ainsi que le fait de comprendre un peu mieux les relations. Il peut y avoir des personnes plus âgées qui sont en couple, qui vivent une relation saine avec leur conjoint, et qui utilisent ces médiums pour ressentir les frissons de la relation qu’on a au début. Et puis il y a tout simplement ceux qui veulent lire une bonne histoire et s’immerger », ajoute-t-elle. Un point que confirme Amel : « Ce que j’aime dans Amour Sucré et Eldarya, c’est que c’est une histoire avant tout, et que nous avons l’impression d’incarner l’histoire. L’envie de terminer le récit pousse à dépenser pour savoir ce qu’il va se passer après ou lorsqu’on rate une illustration [si les joueurs font les bons choix, ils obtiennent une image de la situation avec le personnage]. » 

Si beaucoup d’otome sont disponibles sur PC, ils sont majoritairement présents sur mobile comme Is It Love ?, Chapters, ou encore Mystic Messenger. « Ça se démocratise de plus en plus en Occident. On voit que ça évolue puisqu’à une époque, il y avait très peu de jeux traduits en anglais, ce qu’on trouve davantage aujourd’hui », assure la narrative designer. Ces jeux s’internationalisent de plus en plus, ce qui est le cas de Beemoov depuis 2012 qui bénéficie d’une grande fanbase à l’étranger : « En effet, nous avons beaucoup de joueurs partout dans le monde comme en Allemagne, Pologne, Hongrie, États-Unis… », détaille Stéphanie Sala. Le jeu a beaucoup fait parler de lui dernièrement grâce à l’arrivée d’Amour Sucré New Gen qui est disponible en version beta depuis le 14 février.

Si l’otome connaît un engouement grandissant, il a encore une marge de progression : « Un otome doit développer un large éventail de personnages pour tous les goûts et les couleurs. Chacun apporte sa pierre à l’édifice pour amener du choix et de la diversité dans tout le panel de jeux, thèmes ou personnages disponibles. Les jeux doivent évoluer avec les attentes et l’air du temps », conclut la fondatrice d’Amour Sucré.