La fondation d’entreprise du groupe M6 s’intéresse aux personnes en détention dont elle cherche à faciliter la réinsertion. Reportage à Neuilly-sur-Seine à l’occasion d’une journée de rencontre entre collaborateurs et ex-détenus.

Ils sont une dizaine d’anciens détenus, ce mardi 6 février, au siège du groupe M6, à Neuilly-sur-Seine, pour une « journée de découverte de l’entreprise ». Après une matinée où chacun apprend à parler de son parcours sous forme « d’arbre de vie » pour identifier ses atouts, après un déjeuner à la cantine avec des salariés et une visite des lieux, l’après-midi est consacré au partage des trucs et astuces du recruteur en vue de la réinsertion. C’est Laetitia Verdier, DRH adjointe de M6 Publicité, qui officie dans l’auditorium de M6 aux fauteuils de cuir rouge, là même où le groupe organise ses conférences de presse ou ses projections de films en avant-première.

Des VIP, les anciens taulards ? La fondation M6, fondée en 2010, est en tout cas la seule à se consacrer entièrement à cette cause, décidée par Nicolas de Tavernost, le patron. La DRH interroge : « Pourquoi le CV ? » Les réponses fusent : « se vendre », « voir vous êtes qui », « les qualifications ». – « Parfait, c’est exactement ça », reprend-elle, avant d’ajouter quelques précisions supplémentaires : « On ne met pas forcément sa date de naissance et ses enfants ; la photo, certains la mettent d’autres pas, mais elle doit être pro, donc pas de photo découpée quand on est en vacances. » Parmi les « invités », un jeune homme se risque : « Quelle question ne doit-on pas nous poser ? ». La question de la transparence sur « l’épisode carcéral », évidemment, se devine. Ali, lui, préfère ne rien cacher, après deux séjours de huit et deux ans en détention. De trop grands trous dans le CV seraient difficiles à justifier, et il veut travailler dans la restauration. « Il suffit que vous soyez candidat pour un poste dans une cantine d’école, une mairie ou un aéroport et on vous demandera le casier judiciaire », dit-il.

Serin, plus jeune, a un avis différent. Pour lui, « ça sert à rien d’en parler, c’est se tirer une balle dans le pied ». Il préfère passer sous silence ses quelques mois de prison. « Pour la sécurité, le travail avec des enfants, il ne faut pas de condamnation, prévient Laetitia Verdier, il faut aller vers des métiers où on ne va pas vous demander de casier ». La DRH conseille néanmoins de positiver en assumant sa période de détention, à condition d’expliquer « comment on l’a mise à profit » par un diplôme, une formation, un travail, une activité…

C’est justement le cas d’Ali, grand habitué de la détention et adepte de l’audiovisuel en milieu carcéral. Tout a débuté par un atelier théâtre, avec une association du théâtre de la Villette. L’homme apprend en prison à figurer puis à jouer, filmer, monter. Il suit une formation à l’intérieur de l’établissement pour réaliser une websérie. Ali sort son portable et montre des vidéos de deux minutes sur la rupture du jeûne du ramadan. Le résultat est léché. Tout, de la distribution des rôles à l’écriture des sketchs, a été fignolé par ses soins.

L’après-midi est aussi l’occasion de simuler des entretiens de recrutement. À la cantine, Ali passe sous le regard d’un des 22 collaborateurs de M6 engagés dans cette journée et d’un « corecruteur » également ex-détenu. C’est pour lui le moment de passer à l’action en tenant compte des conseils reçus quelques heures plus tôt : un CV clair et bien présenté, la fonction à laquelle on postule mise en exergue, regarder les gens dans les yeux, se tenir droit, ne pas dire du mal de son précédent patron, se montrer souriant et motivé… Seulement, Ali hésite entre deux voies et cela se ressent dans son entretien : la cuisine, où il a plusieurs expériences, et l’audiovisuel, son rêve. Alors, il a beau dire qu’il est prêt à faire la plonge pour retrouver rapidement un travail, sa motivation à retourner dans la restauration est parasitée par son projet dans l’audiovisuel.

Pourtant, Ali aime la présentation des plats. Il sait, dit-il, garder son sang-froid face au stress de la préparation de 200 repas. Son défaut ? « Si personne ne se parle, cela m’agace », avoue-t-il. Pour le corecruteur, Sirin, la faiblesse de la candidature de son compagnon saute aux yeux. « Il nous perd avec l’audiovisuel, il n’a qu’à avoir deux CV, mais si c’est pour bosser dans la restauration, il faut qu’on ne l’entende parler que de ça… ». Sirin marque une pause. Puis lâche : « Pour se rendre compte de ses erreurs toutes bêtes, il faut les observer chez les autres. »

Concours d'écriture

Emmanuelle Tanneau, déléguée générale adjointe de la Fondation M6, dirigée par Isabelle Verrecchia, raconte que le dispositif favorise les rencontres entre d’anciens détenus, des entreprises, des associations et l’administration pénitentiaire. La Fondation réalise déjà un concours d’écriture intitulé « Au-delà des lignes », qui réunit 500 personnes incarcérées, et un appel à projets pour améliorer l’environnement à l’échelle de la prison.

Elle souhaite maintenant proposer le kit clé en mains de sa « journée » à d’autres entreprises. Seule Up Coop (ex-Chèques déjeuner) a pour l’heure retenu la formule. En interne, une centaine de salariés du groupe sont mobilisés. L’un d’eux est un ancien détenu qui est devenu monteur. Il a été recruté en CDI le 2 janvier. Une exception même si Ali voudrait bien être le prochain : « Le seul métier où on ne demande pas de casier, c’est l’audiovisuel. Quand t’es bon, t’es bon », espère-t-il.

Trois questions à Thomas Valentin, président de la Fondation M6

Pourquoi cette fondation, créée en 2010 ?

Nicolas de Tavernost nous a demandé de lui proposer des idées avant de revenir avec celle-là. On l’a trouvée étonnante puis convaincante. Cette cause est peu médiatisée, peu de gens s’y intéressent, et c’est pourtant assez central dans la société française. On peut y être utiles. Sur 1 500 personnes au groupe M6, pratiquement un tiers contribue chaque année à la fondation. Sa vocation est la réinsertion. Quand on sait qu’il y a 60 % de récidive, et que ce taux tombe à 5 % quand on trouve un job, on se dit que par le travail et l’insertion, on règle une grande partie du problème des prisons.

Comment vous rendez-vous utiles ?

De manière directe par un concours d’écriture, « Au-delà des lignes », par une action dans le domaine de l’écologie et de manière indirecte en aidant des associations en lien avec l’administration pénitentiaire. La réinsertion, c’est le travail à la fois en prison et après la prison. Quand on a été éloigné du monde du travail, c’est très complexe de reprendre un job. Il ne faut pas seulement des formations mais réapprendre à avoir les codes, des horaires, un boss, etc. Nathalie Renoux, marraine de la fondation, est extrêmement active pour aider des détenus à trouver les bons moyens pour sortir de la détention. On a fait aussi des programmes, notamment des Zone interdite, sur l’univers carcéral.

Vous contribuez à faire en sorte que la prison soit vue différemment ?

Elle peut aussi être un lieu de réinsertion. Il y a une manufacture de cafés à Fleury-Mérogis, un restaurant aux Baumettes, un atelier de reconditionnement de jouets à Bois d'Arcy. Il y a aussi les fermes Emmaüs. À M6, nous avons une vingtaine de collaborateurs qui sont d’anciens détenus. C’est une satisfaction fantastique à la fois pour les collègues et pour l’entreprise. Cela crée un attachement très fort même s’il est normal que cela suscite des craintes.

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