Communication
À la fois patron d’agence et consultant de grands groupes du CAC 40, Stéphane Fouks, vice-président de Havas et président exécutif de Havas Worldwide, prône l’engagement et l’éditorialisation au-delà du vernis de la communication.

[Cet article est issu du n°1958 de Stratégies, daté du 5 juillet 2018]

 

Enfin, on ne lui parle plus DSK ou Cahuzac ! Lorsqu'il a annoncé sa volonté de ne plus faire de communication politique, en 2013, Stéphane Fouks ne se doutait pas que cette décision allait être un « formidable accélérateur » de son chiffre d’affaires. Et pour cause, cette activité qui représentait « 1% du business et 99% des emmerdes » donnait à ses clients le sentiment qu'il n'avait pas de temps pour eux. Désormais, lorsqu'il se rend devant l'Association des journalistes médias, le 13 février, il se réjouit de constater que neuf questions sur dix portent sur des entreprises comme LVMH, Carrefour, Veolia, BNP Paribas ou Pernod Ricard, bref ces groupes du CAC 40 dont il assure la communication corporate. À propos de Carrefour, le patron d'agence se félicite de voir que le plan de transition alimentaire du distributeur, annoncé par Alexandre Bompard en janvier dans Le Parisien, est très bien passé dans les médias, malgré 2400 suppressions d'emplois et la propension habituelle des journalistes « à tout résumer aux plans sociaux pour des raisons honnêtes ou idéologiques » (sic).

 

« Jamais marques et entreprises n’ont été à ce point menacées »

« Le risque est que le dossier social prenne toute la place et qu'à la fin il ne reste que ça », précise-t-il, près de cinq mois plus tard, au siège d’Havas, à Puteaux. Dans son bureau, contemplant une vision à 180 degrés de Paris magnifiée par les grands espaces verts du bois de Boulogne, Stéphane Fouks commente la défiance de plus en plus de Français face à la multiplication des scandales qui touchent les entreprises. Crise des élites, complotismes, ghettoïsation par les réseaux sociaux, mécanismes anti-corruption aboutissant à faire sortir de nouvelles affaires... Les raisons sont, pour lui, multiples. On se dit qu'il parle en connaisseur lorsqu'il affirme que « les élites politiques ont considéré que le mensonge était un élément normal de la boîte à outils ». Ou qu'il est assez convaincant lorsqu'il théorise que « la consommation repose sur un mouvement à deux jambes, qui sont confiance et désir ». L’homme suit avec une acuité de tous les instants les signes de cette société de défiance, comme au Maroc, où un boycott a un impact de 30 % sur les ventes de Danone. « Jamais les marques et les entreprises n’ont été à ce point menacées. Le consommateur considère que 60% des marques peuvent disparaître sans que cela n’ait d’importance pour lui. » Une crise se déclenche aujourd’hui en moins d’une heure, rappelle-t-il, loin de la notion de « journée médiatique » chère à Jacques Pilhan. 

 

« Combattre le fatalisme »

Que peut faire le communicant dans un tel climax ? D’abord combattre le fatalisme qui guette les chefs d’entreprise : « Il y a chez les clients un risque du renoncement. L'idée qu'on n'y peut rien, que cela fait partie des contraintes… Et donc on fait le dos rond. Il y une accoutumance aux dossiers successifs qui provoquent une forme de lassitude par la répétition des Cash Investigation, des Complément d'enquête et autre. » Ensuite, il s’agit de distinguer les scandales : celui de Volkswagen par exemple ne pointe pas un accident comme Lactalis, ou pire un système frauduleux qui met en danger le consommateur comme l’affaire de la viande de cheval en 2013. « D’une certaine manière, le dieselgate sécurise le consommateur car il se dit qu’il vient après le scandale et qu’il n’aura pas une voiture truquée », estime-t-il.

La riposte ? Il faut selon lui la chercher dans l’organisation avec un désilotage permanent entre publicité, digital, événementiel, médias sociaux, relations presse et PR. À chaque client, donc, la possibilité de répondre chez Havas avec des compétences décloisonnées. « Notre métier est d’aller plus loin que le brief, on est forts quand on répond à une question qu’on ne nous a pas encore posée », rappelle-t-il.

 

« Donner du sens au quotidien »

Mais pour que l’entreprise ne soit pas dans l’habillage RSE, Stéphane Fouks l’appelle à « mettre l’engagement au cœur de son business model ». Un message que le dirigeant soutient depuis 2015, assure-t-il, et qui n’est pas sans rappeler la loi Pacte sur la définition sociétale et environnementale de l’entreprise. Exemple : BNP Paribas, qui a confié une direction de l’engagement à Antoine Sire et renonce à financer les sites de gaz de schiste. Ou Carrefour qui refuse de commercialiser le bar de ligne pendant la période de reproduction. « Donner du sens, construire et la confiance et le désir par un travail quotidien et pas seulement par des actions de communication, c’est le chemin par lequel les entreprises s’engagent. »

Pour la théorie, l'homme est toujours là. Il glisse d'ailleurs un petit tiré à part avec la griffe Gallimard en évidence : il s'agit d'un extrait de la revue Le Débat qui l’interviewe sous le titre : « L'insoumission permanente ». Insoumis, Stéphane Fouks ? Nullement en tout cas par rapport à Vincent Bolloré, son actionnaire, dont il ne conteste pas même les choix de communication assurés par DGM – malgré une désastreuse image de l'industriel dans les médias. L'insoumission réside peut-être dans cette croyance que la création publicitaire garde une intensité proche de l’irrationnel pour les entreprises. L’homme conçoit d’ailleurs son rôle au carrefour « du marketing, de la sociologie et de la magie de la création » afin « d'aider l'entreprise à avoir sa propre éditorialisation ».

S’il a renoncé pour son agence à la « com pol », il continue de voir personnellement « plein » d’homme politiques et l’on se doute que la Macronie – via Ismaël Emelien, conseiller à l'Elysée et ancien de son écurie – en fait partie. De même, si Havas ne conseille plus de ténors de partis, l’agence continue d’accompagner des pays comme le Congo-Brazzaville ou l’Arabie saoudite. « On assume de faire la communication des États. Notre vocation est d’aider les réformateurs », conclut-il. Y compris si l'Etat question malmène les droits de l'homme ? « On n'épouse pas la cause de nos clients, on les aide à aller dans le bon sens. Mais comme les avocats, il nous arrive de défendre des coupables. Les communicants doivent savoir résister à cette bien pensance qui nous entoure ».

Aider sa clientèle à se transformer, c'est ainsi le nouveau leitmotiv de Stéphane Fouks, y compris si le client est l'Arabie saoudite dont il « égraine les bonne nouvelles et concentre les mauvaises ». Il voit, il est vrai, en Mohammed Ben Salmane, le jeune prince héritier, un réformateur. « Le pays s'est davantage transformé en deux ans qu'il ne s'était transformé en quarante ans», argue-t-il. Avant de sortir un livre d’hommages à Michel Rocard, cet autre réformateur qu'il a servi dans sa jeunesse. « Je suis entre Hollande et Juppé », glisse-t-il.

Parcours

1960. Naissance à Paris.

1983. Chef adjoint au cabinet de Michel Rocard au ministère de l'Agriculture.

1988. Cofonde RSCG Public (devenue Havas Paris).

2005. Executive co-chairman d'Euro RSCG Worldwide.

2011. Vice-président du groupe Havas.

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