Médias
Première gender editor de la presse française à Mediapart, Lénaïg Bredoux voit dans cette ère post-MeToo le moyen de réconcilier rigueur journalistique et engagement féministe.

Lénaïg Bredoux n’aime pas se mettre en avant dans les médias, mais elle se force. Nommée responsable éditoriale aux questions de genre à Mediapart en octobre 2020, après dix ans au service politique, la jeune femme veut contribuer à faire bouger les lignes. « On ne peut pas déplorer l’invisibilité des femmes dans les médias et ne pas se prêter à cet exercice. Avec plusieurs autres femmes de Mediapart, on s’est dit qu’il fallait qu’on se force, sinon on aggravait la situation », insiste la journaliste.

Premières révélations sur l'affaire Denis Baupin

C’est elle qui, en mai 2016, a signé les premières révélations à Mediapart sur ce qui deviendra l’affaire Denis Baupin. Le député de Paris est accusé d’agression et de harcèlement sexuels par plusieurs femmes dont Mediapart et France Inter ont recueilli le témoignage pendant de longs mois. « Cette enquête journalistique était inédite dans sa forme puisqu’elle était menée en dehors de toute procédure judiciaire, pour des faits qu’on savait massivement prescrits. Edwy Plenel (cofondateur et président de Mediapart) disait alors que la publication de cette enquête ouvrait un nouveau champ d’investigation journalistique pour nous », se souvient Lénaïg Bredoux.

Suivront notamment les révélations de la journaliste Marine Turchi sur les violences sexuelles dont a été victime l’actrice Adèle Haenel au début de son adolescence. « Cette enquête a continué à nous convaincre de l’ampleur du champ à étudier, de tous les milieux que ça interrogeait. La création de ce poste de gender editor est arrivé dans ce contexte [suivant le New York Times en octobre 2017, au moment où éclate l’affaire Weinstein], pour interroger nos propres pratiques et coordonner la production éditoriale sur ces sujets », contextualise Lénaïg Bredoux, qui a rejoint Mediapart en 2010, après avoir travaillé à L’Humanité puis pour l’AFP à Francfort.

Curiosité sur tout

« C’est quelqu’un qui n’a d’a priori sur rien et une curiosité sur tout », estime Aurélia End, aujourd’hui rédactrice en chef à l’AFP et qui travaillait alors pour l’agence de presse à Berlin. Elle se souvient d’une journaliste arrivée en Allemagne pour couvrir l’industrie lourde et la Banque centrale européenne, après plusieurs années à suivre les conflits sociaux pour L’Humanité. Le grand écart. « Elle s’est lancée là-dedans avec une immense curiosité. Il faut une légitimité importante quand on est gender editor. Avoir des convictions ne suffit pas », ajoute Aurélia End.

Fonctionnement collectif

Pour Edwy Plenel, Lénaïg Bredoux « a mis trois dimensions dans ce poste : la rigueur professionnelle, la bienveillance et le partage. Elle ne fait pas de ces sujets un domaine privé, personnel. » C’est d’ailleurs cette dimension collective qui plait aujourd’hui à la gender editor : « après la diffusion du documentaire de Marie Portolano [sur le sexisme dans le monde du journalisme sportif], on a réussi à monter rapidement un ensemble de trois papiers en une du journal. Ce fonctionnement collectif est très enthousiasmant. »

Au début de sa carrière, elle qui a grandi à Rennes, élevée par une mère dentiste et un père travailleur social, a veillé à bien dissocier son engagement féminisme de son métier. « Je ne savais pas où mettre le curseur. Puis, j’ai été rattrapée par l’actualité. L’affaire DSK a été une leçon : on avait quelque chose sous les yeux qui n’a pas été pris au sérieux comme objet journalistique », retrace la jeune quadra, qui travaille aujourd’hui en transversale avec la soixantaine de journalistes qui composent la rédaction de Mediapart.

Référente

En plus de coordonner les enquêtes sur les violences sexuelles, elle fait office de référente sur ces sujets, par exemple lorsqu’un journaliste prépare un papier sur un avocat qui fait par ailleurs l’objet d’une plainte pour viol. Comment en parler ? « C’est signifiant qu’on n’en parle pas automatiquement, comme on le ferait s’il était accusé d’un meurtre, par exemple », martèle celle qui se bat contre l’invisibilisation des femmes dans les médias et les stéréotypes dont elles sont trop souvent l’objet.

Dans les mots qu’ils emploient – dans une citation, un homme affirme, déclare, alors qu’une femme confie, raconte, caricature à peine Lénaïg Bredoux – ou dans le choix des personnes interrogées, les journalistes, hommes ou femmes, reproduisent inconsciemment cette inégalité de traitement. « De par notre carnet d’adresses ou du fait de l’autocensure des femmes qu’on interroge, on se retrouve facilement à citer plus d’hommes dans nos papiers. Mais c’est trop facile de se cantonner à ça. En ne faisant pas cet effort, on déforme le réel. La presse est plus sexiste que la réalité de la société », déplore-t-elle, convaincue que l’égalité des sexes ne sera pas réelle sans la presse.

 

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Parcours

1980. Naissance.

2005. Diplômée de l’École supérieure de journalisme de Lille.

2010. Entre à Mediapart.

Mai 2016. Premières révélations sur Denis Baupin publiées sur Mediapart.

Octobre 2020. Nommée responsable éditoriale aux questions de genre.

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