Arnaud Lagardère est soupconné d'avoir puisé dans les comptes de ses sociétés pour financer son train de vie, d'avoir acheté des votes et d'avoir diffusé des informations fausses ou trompeuses. Il a été mis en examen lundi 29 avril. Une interdiction provisoire ayant été prononcée à son encontre, il est contraint de se démettre de tous ses mandats exécutifs.

Le groupe Lagardère a annoncé dans un communiqué, mardi 30 avril, que son PDG, Arnaud Lagardère, avait été mis en examen pour des  « faits concernant essentiellement des sociétés personnelles lui appartenant intégralement ». Il précise que cette mise en examen « est dû « uniquement » à des soupçons « d'achat de vote, d'abus de pouvoir et de diffusion d'information fausse ou trompeuse », soit des faits datant de 2018 et 2019 qu'il conteste.

Une mesure d'interdiction provisoire de gérer des sociétés ayant été prononcée dans le cadre de cette procédure, l'héritier a été contraint de se démettre de tous ses mandats exécutifs, à commencer par celui de PDG de son groupe. Le communiqué précise qu'il conteste aussi cette décision et qu'il fera appel pour s'y soustraire.

Le groupe Lagardère SA ajoute qu'il prendra des dispositions provisoires pour assurer la gouvernance du groupe « en attendant la possibilité pour Arnaud Lagardère d'en reprendre la direction effective ». Il a annoncé le jour même la nomination de Jean-Christophe Thiery, ancien président de Bolloré Médias et président du conseil de surveillance de Canal+, à la présidence par intérim du groupe.

Des faits de 2009 à 2022

Lundi 29 avril, Arnaud Lagardère, avait été entendu par une juge d'instruction à Paris avant sa mise en examen. Il est soupçonné d'avoir puisé dans les comptes de ses sociétés pour financer son train de vie et ses dépenses personnelles pendant plusieurs années.

L'homme d'affaires de 63 ans, qui a obtenu de Vincent Bolloré d'être PDG de son groupe pendant six ans et de prendre la présidence d'Hachette, avait été interrogé dans le cadre d'une information judiciaire ouverte par le parquet national financier (PNF) en avril 2021 sur la base d'une plainte du fonds britannique Amber Capital, d'un signalement de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ainsi que d'un signalement du Haut Conseil du commissariat aux comptes (H3C, devenu la Haute autorité de l'audit, H2A), selon une source judiciaire.

Les infractions visées sont diffusion d'information fausse ou trompeuse, abus de biens sociaux, de pouvoirs et de confiance, présentation de comptes inexacts notamment. Les faits ont été commis entre avril 2009 et décembre 2022. A l'issue de cet interrogatoire, le PDG devait être soit mis en examen, soit placé sous le statut intermédiaire de témoin assisté.

Train de vie et dépenses personnelles

Arnaud Lagardère, qui a hérité de l'empire bâti par son père, Jean-Luc Lagardère, à son décès en 2003, est soupçonné d'avoir « fait financer son train de vie et ses dépenses personnelles en puisant dans les fonds des sociétés Lagardère SAS et Lagardère SCM », a détaillé la source judiciaire. Pendant plusieurs années, ces sociétés « auraient notamment pris en charge des dépenses liées aux immeubles qu'il occupe ainsi qu'une créance successorale, et de nombreuses avances en compte-courant », a-t-elle ajouté.

En novembre 2019, la Lettre (ex-Lettre A) avait révélé que M. Lagardère refusait de publier les comptes de sa holding personnelle, Lagardère Capital & Management (LCM), pour ne pas « rendre publique sa situation financière personnelle, en particulier son niveau d'endettement ». « A plusieurs reprises », selon le quotidien numérique, les actions du groupe détenues par Arnaud Lagardère ont atteint une valeur inférieure à celle de sa dette, « créant une situation financière délicate vis-à-vis des créanciers ».

Selon une source proche du dossier, l'affaire repose sur des irrégularités comptables, qui sont restées dans le périmètre des sociétés personnelles d'Arnaud Lagardère, et qui n'ont pas entrainé de préjudice financier pour le groupe Lagardère.

Un autre volet de cette affaire concerne une assemblée générale du groupe Lagardère en mai 2018, lors de laquelle le Qatar, actionnaire de référence, avait fait volte-face à la dernière minute en modifiant son vote, initialement en faveur d'Amber Capital, pour finalement soutenir la gouvernance. Ce vote était intervenu dans le cadre de la lutte d'influence entre Vincent Bolloré, allié d'Amber Capital, et Bernard Arnault, PDG de LVMH, qui soutenait Arnaud Lagardère.

L'activité de Vivendi en hausse

Les résultats trimestriels de Vivendi montrent par ailleurs que le groupe Lagardère permet au géant des médias d'afficher une belle croissance trimestrielle. Vivendi, qui a absorbé Lagardère fin novembre, a vu son chiffre d'affaires bondir de 86,6% au premier trimestre, à 4,3 milliards d'euros. A taux de change et périmètres constants, le groupe controlé par Bolloré, qui étudie toujours un projet de scission en quatre entités cotées en bourse (voir plus bas), enregistre une croissance trimestrielle à + 5,4% sur un an. Il profite notamment de la hausse de 12,4%, à 1,9 milliard d'euros, du chiffre d'affaires de Lagardère, entré dans son giron après un long feuilleton ponctué notamment par la cession de la maison d'édition Editis.

A mettre à l'actif des principales entités de Vivendi, cette forte activité trimestrielle «  témoigne de la solidité de nos trois principaux métiers et de la capacité du groupe à se transformer », ont estimé dans un communiqué Yannick Bolloré, président du conseil de surveillance, et Arnaud de Puyfontaine, président du directoire.

Dans le détail, Canal+ a vu son chiffre d'affaires augmenter de 4,3%, à plus de 1,5 milliard d'euros, aidé par le développement de son nombre d'abonnés en France comme à l'international, notamment en Afrique, où le groupe poursuit son expansion. Il a ainsi augmenté en février sa participation dans Viaplay, leader scandinave du streaming dont il est le premier actionnaire, et dans l'opérateur asiatique Viu, dont il a « déjà négocié » la possible prise de contrôle « d'ici deux à trois ans », a souligné le patron de Canal+, Maxime Saada, lors de l'assemblée générale des actionnaires de Vivendi.

Canal+ ambitionne aussi d'acquérir l'ensemble du capital du mastodonte sud-africain de la télévision MultiChoice, dont il détient « aujourd'hui plus de 40% » et pour lequel il déposera « dans quelques jours une offre obligatoire de rachat », selon Maxime Saada, qui y voit « la prise de participation stratégique la plus ambitieuse » de l'histoire du groupe.

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De son côté, le groupe de communication Havas a vu son chiffre d'affaire grimper de 6,2% sur le trimestre, grâce à ses acquisitions d'agences, comme l'allemande Eprofessionnal. En outre, Vivendi a indiqué poursuivre l'étude de faisabilité de son projet de scission, validé fin janvier par son conseil de surveillance.

« Une hypothèse actuellement à l'examen serait une scission partielle de Vivendi », qui « resterait, en tant que telle, cotée en bourse »,  aux côtés des trois autres (Canal+/Dailymotion, Havas et Lagardère/Prisma Media), tout en poursuivant « son rôle d'accompagnement » et la « gestion active de ses participations » (Telecom Italia, FL Entertainment, UMG, MediaForEurope...), selon le communiqué.

Ce processus pourrait être entériné par un vote des actionnaires lors de l'assemblée générale annuelle d'avril 2025.