L'intelligence artificielle ne doit pas être vue comme une menace par les médias. Elle peut leur permettre, par exemple, de réinventer l’expérience utilisateur dès la page d'accueil ou même de repenser leur modèle économique.

Les sites d'information, de recettes, de voyage et bien d'autres pourraient voir leur trafic chuter de 20%, 30%, voire 100% avec la généralisation des usages de l’IA générative. Un contexte nouveau, dans lequel les éditeurs doivent naviguer et s’adapter, pour éviter une perte catastrophique de revenus. Face à ces mutations à l'œuvre, quelles sont les mesures que les éditeurs peuvent prendre pour compenser largement cette perte potentielle de trafic ? Et si nous étions à l’aube d’une modification considérable de la manière de consommer des médias en ligne, et qu’il était temps de se réinventer ?

Si l’on regarde ce qui se passe à l’étranger, les éditeurs et les régulateurs canadiens semblent avoir résisté à l'incursion de Google Bard, concurrent direct de ChatGPT, en exigeant des paiements directs pour leur contenu. Résultat : Google a refusé leur demande et a suspendu le déploiement de sa plateforme d'IA dans le pays. Mais il en faudra bien plus pour arrêter l'IA générative…

Bien sûr, les éditeurs méritent d'être indemnisés. Mais ils doivent être stratèges en menant leur négociation, et s'y prendre d'une manière qui ne suscite pas une opposition trop virulente. Ce dialogue est d’autant plus important qu’il est grand temps pour les éditeurs de conclure des accords avec les moteurs de recherche et les opérateurs d'IA. Si cela est loin d’être suffisant, car seuls les grands éditeurs seraient en capacité d’obtenir un accord, ceux qui le peuvent devraient le faire.

Une opportunité pour réinventer l’expérience utilisateur dès la page d'accueil

Trop d'éditeurs ont perdu confiance dans leur capacité à générer des visites répétées sur leur page d'accueil. Les stratégies de référencement et de réseaux sociaux ont trop souvent conduit les éditeurs à se concentrer sur la génération d'impressions vers des contenus spécifiques, également connus sous le nom de trafic secondaire.

Mais cela n'a pas toujours été le cas et le moment est peut-être bien choisi pour redonner vie aux pages d'accueil et faire de la venue sur les sites web une habitude pour les lecteurs. Le principal moyen d'y parvenir : produire en premier lieu un contenu fiable, original et de qualité. Ensuite, présenter la page d'accueil comme une page de type Instagram ou TikTok, pilotée par l'IA, pertinente et personnalisée, où les lecteurs peuvent lire des contenus qu’ils apprécient, mais dont ils ne soupçonnaient pas l'existence.

Une personne passe en moyenne une heure par jour sur TikTok, mais seulement 90 secondes par jour sur les sites des médias : à bon entendeur… Si les éditeurs faisaient en sorte que leur page d'accueil soit similaire à TikTok, mais avec des informations fiables, a contrario des réseaux sociaux, cela pourrait raviver l’intérêt des internautes pour les pages d'accueil des médias, tout en s’appuyant sur l’expertise de journalistes professionnels, produisant des contenus originaux et exclusifs, s’appuyant sur des informations fiables. Le rêve de tout lecteur de presse finalement.

Et si l'IA était finalement notre alliée ?

La peur des nouvelles technologies est naturelle et légitime, surtout si l'on considère son impact sur la fiabilité des informations, pourtant clé dans le monde d'aujourd'hui. Mais la considérer comme une menace ne fera que repousser l’échéance de pertes financières inévitables, pour finalement accepter une réalité commerciale qui évolue rapidement. Il existe une infinité de possibilités dans l’utilisation de l'IA pour aider les éditeurs, et nous commençons à peine à en comprendre tout le potentiel. Par exemple, l'IA peut accompagner les rédacteurs avec du contenu généré automatiquement, ce qui leur permet de se consacrer à des tâches plus utiles, comme l’investigation et le fact checking par exemple…

L'IA générative peut aussi être utilisée pour améliorer les outils de recherche des éditeurs, en fournissant aux lecteurs des réponses basées sur le contenu archivé du site. Elle peut enfin créer automatiquement des newsletters, ou même modifier la mise en page et l'expérience utilisateur en fonction de l'identité du lecteur. Les possibilités sont infinies, si on en fait un allié de choix, et non pas un ennemi à combattre.

Repenser le modèle économique des médias en ligne

Et que se passerait-il si un éditeur perdait demain 20% de son trafic ? Il est temps de passer à une vision à plus long terme de la monétisation des sites d’information. Les éditeurs devraient s'inspirer des entreprises SaaS ou de télécommunications et optimiser la «valeur vie» (LTV) des lecteurs. Les éditeurs pourraient gagner 30% de plus grâce au e-commerce, aux abonnements, aux vidéos, aux publicités natives, aux enchères... Cela représente des opportunités énormes pour les éditeurs. Le «croque-mitaine» de l'IA générative pourrait bien nous forcer à changer plus rapidement que nous ne l'avions prévu.

Ce moment charnière est aussi l’opportunité pour les éditeurs de réinventer la relation avec leurs publics. Repenser les newsletters, les notifications de navigation, les partenariats avec des sites affiliés pour générer du trafic dans les deux sens, les accords de synergie avec les grands portails pour obtenir une plus grande audience ou encore les partenariats avec des équipementiers… Bref, adopter une approche plus «direct to consumer».

L'histoire a tendance à se répéter. Il ne fait aucun doute que l'IA générative est une énorme révolution technologique, avec un impact direct sur nos usages en ligne, mais elle ne fonctionnera pas si les éditeurs ne se mobilisent pas. C'est l'occasion pour les éditeurs d'innover davantage et plus rapidement, et réinventer leur modèle.

Pour les moteurs d'IA générative, c’est l’opportunité de trouver des moyens de rémunérer les créateurs de contenu en termes de revenus, d'audience ou les deux, afin que nous, consommateurs, puissions à la fois profiter de la croissance de l'IA et d’un contenu journalistique fiable dont nous avons tous tant besoin. Notre but commun : éviter que les sites des médias en ligne disparaissent et que nos enfants obtiennent leurs informations sur des sujets aussi essentiels et sensibles comme la santé, la science ou la géopolitique, uniquement sur TikTok et X, avec les risques que nous connaissons.