Terrorisme et médias entretiennent une relation de dépendance mutuelle, qui s'est encore accentuée avec la mondialisation des moyens de communication, l'information en continu et les vidéos filmées par les terroristes eux-mêmes.

Brian Jenkins, conseiller à la Rand Corporation et autrefois à la Maison Blanche, disait déjà dans les années 70 que «le terrorisme, c’est du théâtre», les terroristes cherchant davantage à avoir un public nombreux qu’un nombre de morts élevé. Les organisations terroristes ne cherchent en effet pas à faire usage de la violence simplement pour tuer mais pour des raisons stratégiques : semer la terreur, diffuser leur idéologie ou obtenir un changement politique. De manière à atteindre leur objectif, ces organisations ont besoin que les sociétés soient spectatrices de l’attaque terroriste et que celle-ci domine l'actualité dans les heures et les jours qui suivent. À cet égard, les terroristes savent parfaitement que plus la frappe sera spectaculaire, plus l’impact sur les gouvernements et les populations sera fort.

Aucun attentat n’est sérieusement envisagé sans que les auteurs de cette action ne se soient au préalable demandé ce qu’en feront les organes de presse, puisque son exécution a lieu dans la perspective des échos qu’il va produire dans l’opinion publique, et que là se trouve la principale raison de son existence : les cibles sont visées pour leur valeur symbolique et pour autant qu’elles sont susceptibles de susciter des réactions de la part du public. A la différence des forces armées, qui visent des objectifs militaires ou tactiques, les organisations terroristes préfèrent le combat de l’imaginaire, les effets psychologiques plutôt que les effets matériels. Le terrorisme est en soi un acte de communication, et la médiatisation des opérations est désormais largement réfléchie pour générer une caisse de résonnance maximale.

Quand Al-Qaïda frappe les États-Unis le 11 septembre 2001, cette tragédie fait le tour de tous les médias de l’époque, et les images affichées en boucle sur les écrans de télévision marquent l’ensemble de la population mondiale. L’une des différences majeures entre le groupe Al-Qaïda d’alors et Daech ou Le Hamas d’aujourd’hui, c’est qu’il n’existait pas encore de média «participatif». Depuis l’avènement d’internet et du web 2.0 avec les réseaux sociaux, depuis la démocratisation du téléphone portable multifonctions, il devient nettement plus aisé de maîtriser le message et les images que l’on souhaite faire passer, il devient plus facile d’asseoir une communication à la fois massive et ciblée.

Effets décuplés

La relation terrorisme-médias est aujourd’hui une relation symbiotique ou de dépendance mutuelle. Du côté des médias, le terrorisme fournit les émotions, le drame, l'excitation qui font les grands spectacles visuels. De l'autre côté, les terroristes ont besoin des médias pour produire les effets de terreur recherchés et gagner en légitimité. C’est par les moyens de communication que se diffuse la terreur au-delà des effets physiques de l'action. Ces 20 dernières années, trois tendances ont décuplé les effets de cette relation symbiotique : la mondialisation des moyens de communication donne des répercussions planétaires à n'importe quel événement terroriste ; l'information en continu permet de multiplier les effets de l’attentat en prolongeant la terreur bien au-delà des effets purement physiques de l'action ; les vidéos filmées par des caméras Go Pro et retransmises quasi en direct sur différents types de médias et messageries instantanées rendent les images encore plus frappantes et déstabilisantes.

La collusion entre spectacularisation de la violence et terrorisme n’est pas nouvelle. Les innovations technologiques lui donnent néanmoins encore plus d’ampleur et la puissance médiatique générée par ce type d’événement démultiplie encore leur côté spectaculaire. Les organisations terroristes jouent à plein cette carte. Elles ont désormais leur propre service de communication et produisent leurs propres images, qui peuvent parfois s’apparenter à des jeux vidéo bien connus, comme Lara Croft ou Assassin’s Creed. Les exécutions en direct sur Facebook des otages par le Hamas participent au climat de terreur, tout comme celles mises en scène par Daesh avaient déjà connu un retentissement énorme il y a quelques années. Ces «productions» diffusées sur les réseaux sociaux ont bien souvent tendance à esthétiser la violence ou à la désincarner. Elles ont également un effet d’entraînement fort des opinions comme on peut le constater ces dernières semaines avec le conflit israélo-arabe.