Emmanuel Macron semble avoir définitivement remisé sa promesse d’une rareté de la parole. C'est pourtant bien par la politique et non par la communication que le chef de l’Etat pourra réussir la fin de son quinquennat.

Émission spéciale de C à vous sur France 5, vœux du 31 décembre, choix pour Matignon d’un ancien porte-parole devenu roi de la com’ à l’Éducation nationale, nouveau gouvernement avec comme gure de proue Rachida Dati, reine du clash et de la punchline, « rendez-vous avec la Nation » sous la forme d’une conférence de presse de près de trois heures : le Président de la République est sur tous les fronts médiatiques.

Il semble avoir définitivement remisé sa promesse d’une rareté de la parole, formulée en 2017, pour rompre avec les présidences de Nicolas Sarkozy et François Hollande qu’ils jugeaient trop bavardes, et sans doute pour renouer avec une forme de communication mitterrandienne, tout en distance et surplomb, inspirée par son conseiller de l’ombre Jacques Pilhan, selon qui toute intervention du président devait s’apparenter au déclenchement de la foudre par Jupiter.

L’époque a changé, sous l’effet de la révolution numérique. La communication politique ne répond plus aux codes de la tragédie classique – unité de temps, de lieu et d’action. Tout va plus vite, l’information se diffuse instantanément, ignorant les frontières temporelles comme spatiales, et chacun peut prendre la parole, commenter l’actualité, interpeller les puissants, lancer une polémique ou même diffuser une fausse nouvelle.

Le président a fini par en prendre acte. Il a aussi mesuré les problèmes posés par son silence pendant la réforme des retraites. Il a enfin pris conscience de l’urgence de la situation, avec une majorité à deux doigts de l’explosion au moment de l’adoption de la loi sur l’immigration, et un Rassemblement national au sommet des sondages, à quelques mois des élections européennes et à trois ans de l’élection présidentielle.

Se mettre en première ligne

Comme en 2019, lorsqu’il avait lancé le Grand débat pour sortir de la crise des Gilets jaunes, puis avait mené lui-même campagne pour les Européennes, Emmanuel Macron a décidé de prendre les choses en main, et de se mettre en première ligne. Il ne le fait pas à moitié. C’est un véritable tapis de bombes, pour reprendre les mots d’Alastair Campbell sur la communication de Tony Blair, qui s’est abattu sur les écrans et les ondes depuis quelques semaines.

Dans le même temps, son nouveau Premier ministre ne ménage pas ses efforts. En attendant sa déclaration de politique générale à la fin du mois, il imprime un tempo sarkozien à sa communication, appliquant la recette bien connue de l’ancien président : un jour, un déplacement, une déclaration fracassante.

Cette stratégie de saturation de l’espace médiatique a de quoi donner le tournis aux adversaires les plus coriaces, et il est incontestable que le couple exécutif a repris le contrôle en ce début d’année. Pour autant, combien de temps cela peut-il durer ? Que peut-il encore inventer pour tenir en haleine les Français ?

Un nouveau format d’expression médiatique ? On peut en douter, car le président semble déjà avoir tout essayé, du concours d’anecdotes avec Mcfly et Carlito, à l’interview avec la presse quotidienne régionale, en passant par la tribune, l’échange avec Hugo Travers, et toutes les formes d’émission spéciale. Quel est le média qui n’a pas encore interviewé le président ? Après avoir reçu les candidats de la Star Academy, le chef de l’Etat doit-il répondre aux questions de Squeezie ou dialoguer avec Léna Situations ?

Les habits de président-protecteur

Il pourrait être tenté de reprendre une nouvelle fois ses habits de président-protecteur face aux crises, qui ne manquent pas, de Gaza à l’Ukraine, en passant par l’Equateur et le Yémen. Cette posture lui a réussi, notamment pendant le covid ou au début de l’intervention russe. Les Français se sont alors placés sous l’autorité rassurante de l’Etat, et de son chef, conformément à l’effet bien connu du « ralliement au drapeau », théorisé par John Mueller. Cette posture a pourtant ses limites. On ne peut pas être « en guerre » tout le temps, et seulement vouloir « se réarmer » face à l’adversité. L’anxiété n’est pas un programme. Les prophètes de l’apocalypse ne font pas de bons présidents. La peur est un ressort qui s’use, et à force de crier « au loup », on finit par ne plus être écouté.

De façon plus légère, le président pourrait chercher à nous surprendre une nouvelle fois par son image. Pourrait-il se laisser pousser la barbe comme lorsqu’il était ministre de François Hollande ou oublier de se raser comme lors des nuits passées au téléphone avec Poutine en 2022 ? Après les photos et vidéos en pilote de chasse, joueur de football, cycliste, skieur, et boxeur, Emmanuel Macron se fera-t-il GI pour les cérémonies du débarquement ou porteur de flamme olympique pour l’ouverture des Jeux ?

C’est peut-être du langage que viendra la surprise. « Carabistouille », « finito », « désescaler », « tracas » : le président a décidé de faire un usage pour le moins baroque de la langue de Molière. Il n’a pas hésité à malmener quelque peu nos références à coup de néologismes, expressions désuètes et familiarités. Tantôt érudit en faisant appel à des locutions latines à la « in petto » ou « Captatio Benevolentia », tantôt plus trivial à l’instar d’un « ripoliner la façade », ou encore d’un « ça m'en touche une sans faire bouger l'autre ». Son usage de la parole est un savant mélange entre spontanéité pouvant lui jouer des tours, et parler franc, parler vrai, quitte à se situer parfois sur la crête de la bienséance. « Que se passe-t-il ensuite ? », comme dirait Josiane Balasko jouant Madame Musquin dans le film Le Père Noël est une ordure.

Changer l’Elysée en agence événementielle

Une dernière piste, l'événementialisation. Depuis 2017, dans la continuité de la Grande marche de sa campagne présidentielle, il y a eu le Grand débat, l’itinérance mémorielle, le conseil national de la refondation, les rencontres de Saint-Denis. En 2024, les occasions ne vont pas manquer, avec l’entrée au Panthéon de Manoukian, l’anniversaire du débarquement de Normandie, un championnat d’Europe de football en Allemagne, les Jeux olympiques et paralympiques à Paris. C’est déjà beaucoup. En rajouter conduirait à changer l’Elysée en agence événementielle et le président en un artiste en tournée, ce qui n’est à l’évidence pas souhaitable. La tentation d’en faire trop conduit parfois à des scènes gênantes, comme celles où l’on a vu le président sautant sur une table après la victoire des Bleus en 2018, consoler Kylian Mbappé un soir de défaite de 2022 ou buvant une bière cul sec dans un vestiaire de rugby en 2023.

On le voit, aucune des recettes utilisées par le président depuis 2017 ne peut changer radicalement la donne. Aucun tour de magicien de la communication, aucune martingale de spin doctor ne peut sortir le président de l’ornière de l’impopularité. Je suis bien placé pour le savoir, j’ai pu l’expérimenter quand j’étais moi-même conseiller d’un président.

La communication ne peut pas tout, et c’est heureux. La com ne sauvera pas le président. Seule la politique le peut. Comme il a commencé à le faire en ce début d’année, c’est en formulant une vision, en indiquant un cap, en redonnant de l’espoir que le chef de l’Etat pourra réussir la fin de son quinquennat, et laisser une trace positive dans la mémoire des Français, le jour où il aura quitté l'Elysée.

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