TRIBUNE

Comme les étudiants ou les influenceurs, les marques peuvent chercher, à travers cette expression, à créer de la connivence avec leur cible, que ce soit dans une logique de conquête de nouveaux adeptes ou de fidélisation d’une communauté.

Au collège, au lycée, à la fac, dans les écoles de commerces, et même chez les publicitaires, la question «t’as la réf ?» devient un gimmick dans les relations sociales. Cette petite question qui paraît anodine révèle une nouvelle manière de valider que l’autre fait bien partie de la même communauté que celui qui la pose.

La notion de référence s’applique dans le domaine de la culture au sens large, comme une référence culturelle à un tableau, un artiste, une BD, mais aussi à une culture d’entreprise avec son jargon uniquement compréhensible par les salariés. La référence peut aussi prendre la forme d’un lien qui unit le groupe, à des événements d’une soirée mémorable passée entre amis dont on peut évoquer plus tard avec les participants les moments forts. Ainsi, seules les personnes qui ont participé à la soirée auront ces moments forts en commun en tête. Ils pourront alors, sous forme de «clins d’œil» entre eux, se remémorer tel ou tel moment. Certain iront plus loin dans le secret de ce moment en reprenant la phrase «ce qui se passe à Vegas reste à Vegas !»*.

La question «t’as la réf ?» renvoie souvent à une référence de culture populaire. Elle peut être une question point de départ d’un rite initiatique pour intégrer une communauté : «si tu as la réf, tu as au moins un point commun avec le groupe, c’est le début de ton intégration au groupe.»

«Le biais d’erreur d’attribution» pour valider l’intégration ou non à une communauté

Poser la question peut révéler des intentions moins bienveillantes, sur celui qui la pose. En effet, la question repose sur le biais d’erreur d’attribution, que l'on doit à Jones et Davis (Stanford 1965) puis Lee Roos (1977), aussi connu sur le nom «d’effet Julien Lepers».  Plusieurs études ont été menées à Stanford dans les années 60/70 sur le sujet et démontrent que celui qui pose des questions paraît plus cultivé aux yeux de celui qui y répond. Ainsi, plusieurs interprétations sont possibles sur la personnalité et les intentions de celui qui pose la question.

D'abord, la mise valeur consciente ou inconsciente du questionneur au moment où il pose la question. De fait, celui qui doit répondre trouvera le questionneur plus cultivé car connaissant la réponse à la réf. Autre point, la volonté du questionneur de montrer sa supériorité «culturelle» sur l’autre et ainsi d’avoir un levier de domination, mais aussi la volonté de non-inclusion de l’autre par sa mise en défaut, lui signifiant ainsi qu’il ne peut faire partie du groupe de ceux qui savent. Enfin, la volonté d’exclusion d’un groupe déjà formé par sa méconnaissance de la référence.

Une stratégie de conquête et fidélisation marketing

D’un point de vue marketing, la question «t’as la réf ?» peut-être un levier de conquête de nouveaux adeptes et de fidélisation d’une communauté pour les influenceurs, les plateformes de streaming et les publicitaires. Les abonnés aux plateformes de streaming, en posant la question à leur groupe d’amis, deviennent involontairement des ambassadeurs de la série. En effet, les personnes qui n’ont pas la réf de la série (une réplique culte, un épisode incontournable) voudront en savoir plus et appartenir à la communauté «qui connait», et ne tarderont pas à s’abonner à la plateforme qui diffuse la série.

Ce levier utilisé de façon involontaire dans l’exemple ci-dessus peut faire l’objet d’une réflexion stratégique afin de générer de l’engagement. Par exemple, dans le cas d’influenceurs dont les principales sources de revenus sont liées aux nombres de vues, l’objectif sera de faire venir et revenir le public fan. Aussi, comment faire en sorte que les abonnés visionnent l’ensemble des vidéos de leur influenceur préféré ? En faisant référence dans les stories du moment à des événements passés dans les vidéos ou posts publiés précédemment.

L’influenceur parlera soit de manière directe à son public en l’interpellant avec la question «t’as la réf. ?» ou bien dans ses nouvelles vidéos, il posera la question à ses «amis» autour d’événements survenus dans d’anciennes vidéos. Ainsi, l’abonné, afin de comprendre et mieux s’intégrer à l’univers de l’influenceur, écumera les anciennes stories pour retrouver la référence et faire partie du «fan base» de son influenceur. Cette démarche lui permettra de valider son appartenance à un groupe social et l’influenceur d’augmenter ainsi son trafic et ses revenus.

Une stratégie publicitaire

Des stratégies publicitaires sont ainsi développées sur la question «t’as la ref ?». Une plateforme de streaming musical (Spotify) utilise à dessein ce levier en proposant une playlist «t’as la réf», qui peut se comprendre comme une invitation à venir valider ses connaissances musicales et en fonction des écoutes, s’abonner pour rester dans la tendance et connaître les «réf».

La marque Clairefontaine utilise aussi la petite phrase comme un clin d’œil au langage actuel de la cible du papetier dans sa campagne de septembre 2023. La «réf» dans ce cas signifie que l’on connait ou reconnait une référence sans forcément la nommer, juste en visualisant le logo ou le set de la marque.

De tous temps, les codes sociaux ont existé, révélant une volonté des individus à se retrouver dans une communauté d’idées sur des sujets divers, une volonté de s’élever intellectuellement ou socialement. Ainsi, nous sommes tous intégrés à différents groupes ou communautés avec ses codes, rituels et secrets : clubs sportifs, communautés religieuses, alumni d’écoles, entreprises… Cela construit notre personnalité, nous donne confiance. Toutefois, revendiquer l’appartenance à une communauté ou un groupe n’est pas une fin en soi, il ne peut pas être la seule manière d’être au monde, cela doit rester un des traits de notre identité qui est bien plus complexe qu’une «réf».

*crédité pour être de l’agence de relation publique R&R Partners (2003) à propos de la promotion de Las Vegas. Phrase reprise ensuite dans le film Very Bad Trip.

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