Le dernier Salon de l’agriculture l'a confirmé. L’agriculture change, ses enjeux aussi et ça s’entend dans le parler des marques et des organisations. Les formules déconnectées de la réalité du terrain disparaissent petit à petit.

Le défi est clair : les enjeux liés à l’agriculture sont l’affaire de tous, et pour se mobiliser chacun doit se sentir concerné. Le temps est venu de rétablir la confiance, d’inciter à l’action et cela ne se passera pas de communication. Alors, comment le langage constitue un levier de choix pour sensibiliser et faire agir ?

Soyons sérieux, rions un peu

« Et si on prenait la question de la décarbonation par les cornes ? », questionne le producteur d’alimentation animale Sanders. Ce n’est pas le seul acteur à avoir recours au jeu de mots. Parce que l’humour est d’abord un code relationnel, partager le même humour signifie appartenir au « même club ». Cela revient à dire : « entre nous, on se comprend. » TMTC. Par cette stratégie langagière, le secteur cherche à instaurer la connivence, la proximité et donc la confiance. Un peu de légèreté et des références pop culture pour aborder des sujets sensibles, offrent un abord plus doux. Comment résister à GRDF reprenant la réplique culte de Gérard Darmon, « Pas de gaz vert, pas de transition. Pas de transition, pas de planète. Pas de planète… pas de planète. » Même Amel Bent s’est frayée une place dans les allées et entre les lignes de la campagne Naturellement Flexitarien d’Interbev avec « On peut s’engager le poing levé ou juste à point. » En bref, il n’y a qu’une philosophie, quand on parle le même langage, on se sent concerné et on prend conscience qu’on a tous un rôle à jouer.

De l’horizontalité pour ouvrir les horizons

« Le saviez-vous ? » L’art de la question rhétorique jalonne lui aussi les stands du Salon de l'agriculture. Un allié de choix pour dynamiser le discours et distiller des informations sans verser dans l’écueil d’une prise de parole « verticalisée » (et donc facilement moralisatrice et donneuse de leçon). Poser des questions pour stimuler l’écrit rejoue les interactions de l’oralité pour donner l’impression d’un dialogue avec la marque. Qu’est-ce que ça nous dit ? D’abord, qu’il existe vraisemblablement un fossé à combler entre la réalité du secteur et les connaissances du grand public. Ensuite, qu’un vrai dialogue doit être engagé pour décloisonner les univers. Devinez quoi ? Le choix d’un ton pédagogique amène les informations avec clarté, lisibilité en évitant le discours sentencieux.

Peut-on changer par amour ?

Interbev & Naturellement Flexitarien en font le pari. La campagne pop et colorée s’accompagne d’accroches mêlant les champs lexicaux de l’amour, du plaisir et celui de l’engagement. « On peut s’engager pour une viande plus durable et la déguster en un rien de temps », lit-on. Un petit creux ? Une halte au stand « Flexi-crush » vous donnera des tips pour aimer la viande avec modération. Ici, pour engager, on court-circuite la raison pour passer par le coeur grâce à une tension sémantique qui prend la forme d’une anti-thèse, à savoir aimer plus, manger moins.

Avant c’était bien, maintenant c’est mieux

« Manger, ou mieux manger » (Région Aquitaine), « Mieux Manger, manger français : des viandes et des fromages de qualité ! » (Région Bourgogne Franche Comté)... Vous l'aurez compris, bien manger, c’est totalement has-been. Il s’agit maintenant de mieux manger ! Que se cache-t-il derrière cette injonction méliorative ? S’il faut mieux manger, on comprend que jusqu’ici on mangeait donc mal ? Ou rejoignons-nous là une logique performative qui s’inscrit dans une société attendant sans cesse de nous de devenir la meilleure version de nous-même ? Et que met-on réellement derrière ce mieux ? Plus local, plus bio, moins fréquemment ? En tout cas, dans le ton, l’injonction semble se situer davantage du côté des consommateurs, sommés de changer, que de celui des producteurs…

Génération réenchantée

Patate, tomate, banane : les basiques se refont une beauté et reviennent dans nos assiettes pour mieux briller face aux décriés produits transformés. La Banane de Guadeloupe et de Martinique nous laisse « Bouche B. », nous voici donc épatés. Quant au CNIPT, il nous assure que « La pomme de terre, c’est la base ». Côté Interfel, c’est toute une campagne qui met en évidence la pluralité des possibles et des émotions des fruits et légumes : « C’est jamais trop », comprendre : « c’est infiniment créatif. » Une starification du commun qui crée un paradoxe surprenant : ce qui paraissait chiche devient promesse de prospérité. Faire plus avec moins, ou la rencontre de l’abondance et de la sobriété ?

Donner la voix et de la voix

Le contexte économique, environnemental, social et politique faisant, difficile de continuer à faire la sourde oreille aux revendications des agriculteurs. Mais, pour pouvoir les entendre, il faut d’abord les rendre audibles. Aux coopératives d’en prendre en partie la responsabilité et c’est le recours à la voix qui est de plus en plus plébiscité. Plus authentique, la voix est celle qui ne trompe pas, celle qui révèle une émotion spontanée. Chez Sodiaal, le podcast Dans ma coop ! fait parler les agriculteurs. Comme les accroches « Je suis collab-oratrice » ou « Je suis éleveur », apposées sur les T-shirts, qui utilisent l’emploi de la première personne (je / ma) pour faire parler la coopérative à travers la voix individuelle, incarnée donc. Du côté des Produits Laitiers, le stand propose aux visiteurs de doubler un dessin-animé mettant en scène des briques de lait et autres réjouissances lactées. On favorise l’identification et l’empathie. Quand on est soi-même dans la peau d’un camembert, forcément, ça change tout !

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