Santé
Vincent Leclabart, président de l’AACC et patron d’Australie, tire la sonnette d’alarme: les conditions de travail dans les agences sont de plus en plus difficiles et les burn-out se multiplient. Il appelle à la mobilisation.

Vincent Leclabart a deux casquettes, à la fois président de l’Association des agences-conseils en communication (AACC) et patron du groupe Australie. Le 14 juin dernier, lors de la cérémonie du Grand Prix Stratégies de la publicité, le dirigeant a prononcé un plaidoyer en faveur des agences et de la créativité. Et, surtout, il a alerté sur la santé au travail: «Les médecins constatent une augmentation sans précédent des burn-out.» Burn-out, le mot est lâché. Au niveau de l’AACC, Vincent Leclabart s’apprête à lancer une vaste enquête pour évaluer l’urgence de la situation. Chez Australie, ce syndrome d’épuisement professionnel est au cœur d’un chantier de grande ampleur, piloté par Alexandra Gaudin, directrice des richesses humaines.

 

Pourquoi les agences sont-elles très exposées à ce fléau?

VINCENT LECLABART. La morosité économique engendre d’énormes pressions et toutes les entreprises sont d’une façon ou d’une autre fragilisées. Mais la communication est un secteur parmi les plus concurrentiels: une agence comme Australie participe à une quarantaine de compétitions par an. Par ailleurs, j’observe une véritable dégradation de la relation client-fournisseur. Une forme d’autoritarisme envers les agences se développe chez les annonceurs. Les clients ne sont pas particulièrement mal intentionnés mais ils sont simplement engagés dans un système qui les dépasse, et parfois ne se posent plus les questions les plus simples du respect humain. Il peut y avoir plusieurs explications: l’impossibilité de prendre le moindre risque par rapport à sa hiérarchie, l’obligation de respecter des contraintes financières, un manque de confiance, etc.

 

Quels sont les métiers les plus touchés?

V.L. La pression économique se propage à tous les métiers de la communication. Cela met en péril à la fois l’équilibre des collaborateurs (leur santé) et l’équilibre financier des entreprises (leur performance). Les commerciaux sont particulièrement touchés car ils sont comme pris en étau par leur mission de double représentation: de l’agence vis-à-vis de l’extérieur et du client à l’intérieur de l’agence.

 

Avez-vous été confronté, en tant que ­dirigeant, à des burn-out?

V.L. Les cas de burn-out sont difficiles à détecter. Il s’agit bien souvent de l’expression d’un surinvestissement de l’individu. Une personne qui se donne sans compter (ni ses heures, ni sa rémunération...). Un consciencieux qui pense pouvoir régler tous les problèmes, prétend gérer la situation et cache bien ses failles. Et puis un jour, la machine s’arrête. Chez Australie, on a eu un cas il y a quelques années: une femme a vraiment craqué, assez durablement. Si elle est d’abord revenue, elle a finalement décidé de changer de métier. Plus récemment, deux personnes ont été obligées de s’arrêter quinze jours parce qu’elles n’en pouvaient plus. Cela prenait la forme d’une très grosse lassitude. Je remarque que ce genre de situation est plus courant qu’avant. J’ajoute que les femmes sont plus touchées par l’épuisement professionnel, car elles sont, en général, davantage impliquées.

 

Pourquoi les burn-out sont-ils de plus en plus fréquents?

V.L. Le digital, et à plus forte raison le mobile, accentue le stress au travail. Le fait d’être en permanence connecté à ses e-mails donne l’impression de devoir être disponible à tout moment. La relation de prestation agence-annonceur passe presque exclusivement par e-mail, elle se dématérialise, pour finalement se déshumaniser... La généralisation de l’e-mail a atteint son paroxysme et il faut lutter pour un retour au rapport humain. L’aspect physique et épidermique de la communication est au moins aussi important que les mots qu’on utilise.

 

Comment lutter?

V.L. Chez Australie, nous travaillons main dans la main avec la DRH, Alexandra Gaudin, afin de prendre le problème à bras-le-corps. L’agence a affronté, début 2015, un contexte compliqué notamment lié à une charge de travail très importante. Depuis, nous mettons en place de nombreuses actions préventives: télétravail, «Journée bien-être» tous les jeudis avec cours de yoga, méditation, ostéopathe... À commencer par la sensibilisation des managers à la définition du burn-out. Nous avons également amorcé une collaboration avec la médecine du travail.  Nous sommes en outre sur le point de diffuser une «charte de la connexion et de la déconnexion», élaborée par un groupe de collaborateurs issus de tous les métiers et de toutes les générations au sein de l’agence. Elle comporte cinq points sur lesquels on demande à chacun d’être vigilant. Par exemple, on y autorise officiellement à ne plus répondre à ses e-mails entre 21heures et 8heures du matin. Nous préparons d’ailleurs pour la fin de l’année un événement que nous avons baptisé «Se déconnecter pour mieux se connecter», avec de nombreuses opérations à cet effet.

 

De quelle manière allez vous agir au niveau de l’AACC?

V.L. J’entends insuffler un mouvement de réflexion global dans notre secteur. Cela peut prendre du temps, mais je vais lancer une grande enquête dans la profession pour dresser l’état des lieux des conditions de travail, en associant des dirigeants, des directeurs des ressources humaines et des médecins. Je veux faire le point avec les différents métiers de notre univers. Je vais également organiser des rencontres sur ce thème. C’est mon chantier pour l’année à venir.

Prévenir le surmenage

Les conseils de Philippe Rodet, médecin spécialiste du stress au travail et auteur de l'ouvrage Le Bonheur sans ordonnance (éditions Eyrolles).

1/ Réfléchir avant de partir

Chaque soir, avant de quitter le bureau, prendre un temps pour passer en revue les difficultés de la journée. Une minute de réflexion pour chacune. Si une solution se dégage, la difficulté disparaît, sinon il faut la noter sur un agenda pour la résoudre le lendemain. Les effets du bien-être se font sentir au bout de trois semaines de cet exercice.

2/ Établir un bilan quotidien 

Partager une page de papier en deux colonnes. D’un côté, lister les difficultés du jour, de l’autre ce qui s’est bien passé, au sens large (un sourire, une marque de reconnaissance…). Repérer les trois points positifs les plus importants et se forcer à y penser le soir au coucher.

3/ Se remémorer ses succès

Noter tous les petits succès remportés sur une feuille de papier: un client que l’on a réussi à convaincre, un travail d’équipe réussi, etc. Ici, l’ocytocine, une hormone apaisante, va agir et réduire le stress.

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