Société
Les règles, ce grand mystère qui suscite à la fois dégout et fascination. Sans honte, les femmes sont désormais prêtes à montrer ce qui se passe dans leurs culottes pour se libérer des diktats, l’égalité passe aussi par là. La révolution est en marche, qu’elle soit féministe ou pas, ça va saigner !

Je peux pas j’ai mes ragnagnas, j’ai mes lunes, mes coquelicots, c’est ma semaine ketchup, je suis en période rouge, indisposée… Nombreuses sont les expressions enfantines utilisées pour désigner le cadeau que dame Nature apporte aux femmes chaque mois. Eh oui, n’ayez pas peur, le terme de « règle » est un nom commun et non un gros mot. Pourtant dans notre société actuelle, parler de règles reste encore tabou. Principalement à cause de la croyance commune qui veut que les règles riment avec mauvaises odeurs, saleté, changement d'humeur…

Depuis deux ans, le discours sur le sujet semble néanmoins se décontracter. Grâce à des femmes qui osent poser leurs ovaires sur la table. Des femmes journalistes, écrivaines, féministes, membres de collectifs pour l’égalité… toutes bien décidées à lever cette omerta. En janvier 2017, une brèche a commencé à s’entrouvrir en France, avec la publication du livre d'Élise Thiébaut, Ceci est mon sang, laissant jaillir interrogations, témoignages mais surtout explications sur ce phénomène biologique. Ont suivi deux autres livres sur le sujet, Sang Tabou de Camille Emmanuelle et Le grand mystère des règles de Jack Parker. « Si le tabou des règles éclate aujourd’hui, c’est parce qu’il est corrélé à d’autres questions liées à la santé des femmes dont l’endométriose et à la composition des protections périodiques », explique Elise Thiébaut. 10 à 15 % des femmes seraient touchées par l’endométriose, maladie qui, il y a encore quelques années, était peu ou pas évoquée par le corps médical.

Un tabou source d'inégalités

Pour la journaliste Klaire fait Grr, le tabou des règles a indirectement entraîné des inégalités: «Les injonctions sur les corps des femmes et l’esthétique, les injonctions liées à la maternité, la sexualité, l’invisibilisation des violences conjugales et/ou sexuelles, les violences gynécologiques… Tout cela pourrait faire l’objet d’un terrifiant moodboard, avec en son cœur, cette phrase: “il faut souffrir pour être belle”. Il ne s’agit évidemment pas de mettre sur un même plan la douleur de l’épilation, celle des règles et celle d’un coup de poing. Mais on peut s’interroger sur cette intégration et invisibilisation de la douleur».

Une souffrance trop silencieuse. «Le tabou des menstruations s’est ancré dans nos moeurs à partir du 18ème siècle, le moment où les religions monothéistes ont pris de l’ampleur dans la société», met en exergue la journaliste et autrice du documentaire 28 jours Angèle Marrey. Pas étonnant que les femmes ne sachent pas pourquoi ce sang coule entre leurs cuisses, personne n’en parle, que ce soit à l’école ou en famille. «C’est l’héritage d’un féminisme tel que pensé par Simone De Beauvoir, qui aujourd’hui paraît un peu dépassé. La femme est toujours rapportée au statut de mère potentielle. La seule solution pour atteindre l’égalité homme/femme était de nier la dimension biologique», rapporte Elise Thiébault.

Et quand on essaie d’en parler, bonjour les clichés. En 1946, le premier film sur les règles est réalisé par le géant Disney. Entre stéréotypes et fausses représentations de la femme, Walt Disney présente la merveilleuse «histoire des menstruations»

Fini les règles de Schtroumpfettes

Édulcorées, comme les pubs actuelles sur les protections hygiéniques. Présentant des femmes un peu nunuches, faisant du sport, vêtues de pantalons blancs... Le marque de vêtements Monki affirme pour sa part: «Periods are cool». Bloodwashing ? «La culture de masse a toujours veillé à passer les règles sous silence, notamment du fait d’une longue histoire légale de restrictions liées à la décence et de l’obscénité. Et lorsque les règles sont mentionnées, c’est pour mieux tourner les femmes en dérision, sur un registre hystérique», retrace Margaux Revol, senior strategist chez AMV BBDO. L’agence a donc décidé d’inverser le paradigme en montrant les règles comme une normalité positive. Avec la marque Nana, ils ont utilisé pour la première fois du liquide rouge à la place du traditionnel bleu pour représenter les menstruations. Fini les règles de Schtroumpfettes. «#Bloodnormal n’est pas juste un film qui change la couleur du liquide. Le succès de la campagne n’aurait pas été tel sans aborder les règles de façon empathique et vraie», rajoute Margaux Revol.

Indéniablement, la parole se libère sur les sujets féminins et féministes au travers de podcasts, de reportages, de vidéos YouTube. «Une nouvelle vague est en train de monter car en parallèle, des gens parlent de plaisir féminin, de clitoris, de charge mentale… Il y a une nouvelle génération, de filles en tout cas, qui a envie de combattre le sexisme quotidien», évalue Angèle Marrey.

Flux instinctif et free bleeding

Au-delà des représentations, les pratiques évoluent. Adieu serviettes aussi épaisses que des couches et tampons remplis de chlore. Bienvenue à la cup en silicone et à la culotte absorbante. Parallèlement, de plus en plus de femmes pratiquent le flux instinctif ou le free bleeding. Késako? Par la contraction du périnée, elles affirment ré-apprivoiser leur flux. Choix extrémiste pour certaines, libération du corps pour d’autres. Comme tient à le rappeler l’anthropologue Françoise Héritier : «Il ne faut pas penser que parce que nos aînées se sont battues pour nos droits, qu’ils ont toujours existé. Légalement, ils sont acquis mais dans la réalité, encore faudrait-il que les mentalités suivent». Les nouvelles générations ont à coeur de se défaire des chaînes imposées par le patriarcat. Œil pour œil, sang pour sang.

 

 

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