Cet été, était-il possible d'échapper aux infernales campagnes du film Barbie et de son supposé rival, le beaucoup plus sombre Oppenheimer ? Si la promotion est bien loin d'être chose nouvelle, les budgets com du cinéma ne cessent d'exploser. Indispensable pour émerger alors qu'Hollywood est cerné par les YouTube et autres TikTok...

À ce stade, cet été, on était presque tenté de changer ses serrures. Barbie par-ci, Barbie par-là, Barbie encore ici, Barbie aussi là-bas… À chaque coup de sonnette, ce frémissement : et si l’on voyait apparaître la poupée peroxydée, s’égosillant, dans un terrifiant sourire : « Allez voir mon film ! Allez voir mon film ! » ?Purement hallucinante, de quoi provoquer des crises d’angoisse, des cauchemars, la promotion de Barbie, nouvelle production Warner Bros sortie le 21 juillet… Avec cette impression que la campagne promotionnelle avait démarré il y a plus d’un an, que l’on nous serinait, chaque semaine un peu plus fort, que le film allait sortir et qu’il allait cartonner. À tel point que le compte Instagram parodique Reductress faisait son beurre de l’hystérie fuchsia avec une série de posts comme celui-ci : « Barbie marketing gone too far ? Greta Gerwig is at my apartment with a lead pipe » [Le marketing de Barbie va-t-il trop loin ? Gerta Gerwig (réalisatrice du film) est chez moi avec une barre à mine].

Il faut dire que le cochonnet rose bonbon était bien garni : 150 millions de dollars d’enveloppe promo. Selon la bible d’Hollywood, le magazine Variety, c'est plus que le budget de production du film, qui se montait, lui, à 145 millions de dollars ! Sans oublier l’habile opération Barbenheimer, montage en épingle délirant de la supposée rivalité entre les deux blockbusters de l’été : le Barbie acidulé de Gerwig contre l’Oppenheimer métallique de Christopher Nolan – biographie sombre de l’inventeur de la bombe atomique. Le duel entre les deux films était d’ailleurs présentée de façon outrageusement genrée, avec un sexisme d’un autre temps – Barbie pour les filles, Oppenheimer pour les garçons. Fatigue. Mais passons.

Si certain(e)s criaient grâce, le lavage de cerveau a parfaitement opéré, avec une réaction des spectateurs quasi pavlovienne : en moins d’une semaine d’exploitation, le film totalisait déjà 1,3 million d’entrées en France, et avait déjà rapporté plus de 356 millions de dollars de recettes à travers le monde. Sur les réseaux sociaux, avant et peu après la sortie du film, on dénombrait 33,4 millions de mentions dans le monde avec 76,6% de mentions positives. Cœur cœur cœur…

«Un champ de mines»

Sans aucun doute, dans le cinéma, on a franchi un pic dans le harcèlement marketing. À moins qu’il ne s’agisse simplement d’un nouveau palier dans une tendance exponentielle ? Le blockbuster d’été n’est certes pas chose nouvelle. Comme le rappelle le Hollywood Reporter, autre bible hollywoodienne, « le box-office de l’été a été institutionnalisé il y a presque cinq décennies, lorsque le Jaws [Les Dents de la mer] de Spielberg a battu tous les records, devenant le premier film à dépasser la barre des 100 millions de recettes domestiques, après qu’Universal avait investi un budget promotionnel de 700 000 dollars – du jamais-vu à l’époque. »

Aujourd’hui, le budget paraîtrait bien maigrichon aux grands prédateurs des studios. Bien souvent, comme c’est le cas pour Barbie, le budget marketing d’un film excède ses coûts de fabrication – salaires mirobolants des stars inclus. Ainsi, en 2019, le budget com d’Avengers Endgame, production Disney, se montait à 200 millions de dollars – soit significativement plus que les coûts de production d’un blockbuster. À titre de comparaison, dans l’univers des super-héros, les super-budgets marketing se montaient à 140 millions de dollars pour Spider-Man : Homecoming et 80 millions de dollars pour Guardians of the Galaxy Vol.2. Une paille !

Les blockbusters ne sont pas les seuls à mettre la gomme sur la com. Car plus on est petit, plus on doit crier fort pour exister. Ainsi, Get Out, film d’horreur psychologique indépendant de Jordan Peele sorti en 2017, aurait nécessité 4,5 millions de dollars en production et… 77 millions de budget marketing. Mais aujourd’hui, plus que jamais auparavant, a-t-on encore vraiment le choix ? « Ramener les spectateurs dans les salles obscures, ce n’est pas une mission pour les faibles et les mauviettes », lâche un cadre haut placé des studios dans le Hollywood Reporter. La presse cinéma est subclaquante, la pub TV coûte son prix alors qu’en parallèle les géants de la production se retrouvent en compétition avec TikTok, Snapchat, Instagram, YouTube et consorts. « Comment se démarquer ? C’est un véritable champ de mines !, se lamente notre huile d’Hollywood. Regardez la saison estivale, il sort un gros film par semaine en juin ! » Pauvre petit pépère…

Les mésaventures d'Astérix

« Le marketing des films n’a jamais été aussi important, résume quant à lui Paul Dergarabedian, analyste chez Comscore, dans le Hollywood Reporter. Particulièrement après les deux années de covid, durant lesquelles les films sur grand écran avaient disparu des radars et des esprits des spectateurs… » Pour autant, même si un bon matraquage à l’ancienne fait le plus souvent recette, il n’est pas toujours suffisant. Guillaume Canet en a fait l’amère expérience avec Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu, sorti en février 2023. Le nouvel opus des tribulations du moustachu gaulois et de son acolyte en obésité morbide et pantalon rayé était présenté comme le neuvième film français le plus cher de l’histoire, avec 75 millions de budget global, dont 10 millions pour le cachet des acteurs et 20 millions pour la campagne promotionnelle, soit plus d’un tiers du budget global. Bravache, Canet n’envisageait pas un seul instant l’échec, déclarant, avec une arrogance mêlée de quasi-chantage : « Si un film comme ça ne marche pas, il n'y a plus un financier qui va mettre de l'argent dans les films. » Pendant ce temps-là, sur les plateaux télé, on bouffait jusqu'à l'écœurement de l’interview promo des protagonistes, Gilles Lellouche, Marion Cotillard…

La campagne marketing agressive a-t-elle découragé les amateurs des héros d’Uderzo et Goscinny, ou serait-ce l’accueil critique désastreux ? La frénésie promotionnelle a fait flop flop flop... Le film de Canet devait, selon Télérama, atteindre les 6 millions d’entrées pour être rentable. Malgré un démarrage fulgurant – 1,6 million de spectateurs, soit le troisième meilleur démarrage au cinéma en France depuis la pandémie –, le film peinera à atteindre les 4,6 millions d’entrées. Pour mémoire, le Astérix : Mission Cléopâtre d’Alain Chabat avait réuni 12 millions de fidèles.

Quelle est, in fine, la part des espèces sonnantes et trébuchantes et du pur talent dans le succès d’un film ? « La production cinématographique n’est pas un commerce de saucisses mais d’enthousiasme individuel », préférait croire, dans ses Mémoires, Charlie Chaplin. Dans 50 ans, se souviendra-t-on du Barbie de Gerwig comme d’un chef-d’œuvre qui a fait date dans l'histoire du cinéma, ou d’une machine de guerre marketing sans merci ? Peu importe. Comme le veut la mythique réplique du film de John Ford, L’Homme qui tua Liberty Valance : « Quand la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende ».