Le 5 octobre, Camille Aumont-Carnel, alias @jemenbatsleclito sur Instagram, a publié son troisième livre intitulé Les Mots du Q, un manifeste joyeux décomplexé sur les sexualités. Un ouvrage qui invite les lecteurs(-trices) à s’attarder sur les expressions sexistes couramment employées, et à en inventer des nouvelles.

Après Je m’en bats le clito ! et #Adosexo, Camille Aumont-Carnel revient avec Les Mots du Q, un manifeste joyeux décomplexé sur les sexualités. À travers 400 pages, l’autrice revient sur un ensemble d’expressions et de mots communément utilisés qui relèvent d’un vocabulaire sexiste et excluant. La militante féministe propose également des alternatives avec des nouvelles formulations manquantes à notre vocabulaire. Après un an et demi d’écriture à se pencher sur cette thématique qu’elle démocratise depuis le début de son compte Instagram @jemenbatsleclito, mais aussi avec @adosexo et @jedisnonchef (comptabilisant en tout, un million d’abonné(e)s), ce livre est un dictionnaire accessible et inclusif à destination d’un large public. En 2023, les sujets liés aux sexualités poursuivent leur chemin même si la route est encore longue. Pour Stratégies, Camille Aumont-Carnel revient sur son combat pour la révolution des mots avec ce troisième livre.

Comment vous est venue l’idée de faire de ce livre un dictionnaire 2.0 ?

Camille Aumont-Carnel. L’idée de ce dictionnaire est née d’une volonté d’aller au-delà de ma première démarche avec @jemenbatsleclito et de revenir un petit peu à la genèse de ça, c’est-à-dire proposer des expressions nouvelles, du moins pas mainstream. La langue fait partie de mes grands kifs et de mes grands terrains d’exploration et d’empouvoirement. C’est une volonté de travailler la langue dans le but qu’on se sente un peu plus libre, de nous faire de la place parce que je pense qu’une langue qui ne prend pas en considération la moitié de sa population, c’est une société qui invisibilise. Et ça, c’est hors de question. J’ai commencé à faire une liste autour de toutes les expressions liées au cul dont je voulais parler dans un ouvrage, et très vite je me suis rendu compte que 80% d’entre elles étaient problématiques. Je suis arrivée à une troisième phase où je me suis demandé si mes sexualités et mes sensations étaient représentées dans les expressions que j’utilise au quotidien... Ce qui n’est pas le cas. C’est là qu’arrive la partie vraiment intéressante qui est de se dire : bon, j’estime être une femme libre, une femme qui s’autorise et qui invente et qui crée. Je me suis alors permis de proposer des expressions pour des réalités qui existent déjà. Le livre vient disrupter les institutions, c’est ma grande passion !

Les Mots du Q inaugure le premier livre de la collection « Dire c’est agir » de la maison d’édition du Robert.

Mon éditrice, Bérengère Baucher, m’a contactée au sujet d’une collection chez Le Robert qui n’avait pas encore de nom. Le constat est de se dire : les mots ne sont absolument pas anodins, ils fabriquent la façon dont on fait les choses et de comment on les pense. Nous avons une passion commune, c’est de relater la société telle qu’elle est à une certaine époque en passant par les mots. Si on ne les ancre pas, ils passent à travers le temps, et je refuse de traverser cette époque sans les archiver. Ce livre permet de toucher une cible plus large que celle de mon compte Instagram, et j’aime avoir un objet transgénérationnel.

Dans votre livre, vous mettez en avant la pauvreté de la langue française pour décrire des situations. Justement, comment se rend-on compte de cette absence ?

Je voulais prendre de la hauteur sur la définition. Il fallait que je valide ma définition de l’intime où je parle à la première personne, et que je me rende compte que mon spectre de réalité correspond au spectre de milliers d’autres femmes avec qui j’ai échangé depuis ces trois dernières années. C’est en discutant sur les galères des règles, du gynéco, qu’on finit par se rejoindre sur le même processus émotionnel, les mêmes doutes.

Vous comparez certaines expressions françaises avec des versions anglaises et espagnoles. Sur quelle langue devrait-on prendre exemple ?

Les langues pour moi sont juxtaposées, tissées les unes entre les autres, et je ne les vois pas de façon cloisonnée. C’est vrai que dans certains moments, comme le domaine de la colère et de l’indignation, l’espagnol est plus en phase avec moi. C’est une langue où le juron, le vulgaire et l’insulte sont pensés pour que ça soit féminin. C’est comme si c’était une société, une culture, qui légitimait la colère des femmes. Ce que j’aime avec l’espagnol, c’est que j’ai grandi en voyant des femmes occuper l’espace auditif. Je me sens engoncée dans la langue française, alors que là où j’ai beaucoup d’espace, c’est dans la langue espagnole qui n’a pas la règle du « masculin l’emporte sur le féminin ».

Aujourd’hui en 2023, constatez-vous toujours un tabou au quotidien et dans les médias autour de ces mots autour du sexe malgré le fait qu’ils tendent à se démocratiser ?

Évidemment, on ne déconstruit pas 5 000 ans de patriarcat comme ça. C’est du travail. Dans l’espace médiatique, je sens encore beaucoup de malaise. On ne peut pas dissocier le sujet des sexualités sans parler des violences et des sujets d’oppression, parce que ça va ensemble. Donc forcément, on en vient à parler de ça, et c’est là que tout le monde bégaye. On ne sait pas traiter le sujet des violences sexuelles. Alors après attention, quand je dis on ne sait pas, c’est on n’a pas envie de gérer ce sujet car ça revient à dire qu’on a merdé tous ensemble en tant que société. D’un point de vue médiatique, j’ai plus eu l’impression qu’à un moment donné on a dû créer nos propres médias pour en parler. Aujourd’hui, @jemenbatsleclito, c’est un média à part entière. Il n’y avait pas d’espace pour traiter de ces thématiques. Dans le quotidien, j’ai l’impression que les femmes en parlent plus librement, après c’est toujours les mêmes personnes de classes dominantes. Mais ça se libère progressivement.

Et si on terminait avec quelques expressions de votre livre ?

J’aime bien les vraies larmes de bonheur, ce sont les larmes lentes qui coulent sur notre joue au moment de l’orgasme et lorsque ces larmes sont simultanées avec sa ou son partenaire, c’est un moment magnifique où l’on parle qu’avec les émotions et rien d’autre. Ça peut être aussi en solo. Il y a aussi la folie orgasmique, c’est le moment lors d’un rapport où on prend tellement notre pied qu’il n’y a plus aucun son qui sort de notre bouche. Je peux aussi te citer le lasiopyge qui ne pige rien : un individu qui malgré sa forte pilosité et sa volonté inexistante d’exercer toute épilation ou rasage, se permet de faire des commentaires sur la pilosité de son ou sa partenaire.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.