Depuis 2005, le Festival international Quais du polar s’est imposé comme un événement littéraire incontournable, attirant des milliers de visiteurs à Lyon. Hélène Fischbach, sa directrice, partage sa vision de l’évolution du genre policier et l’importance des sujets de société abordés dans ce type de romans.

Le Festival Quais du Polar a célébré ses 20 ans cette année. Quelle est la genèse de cet événement ?

Le projet a vu le jour en 2004 grâce à l’initiative d’un petit groupe de libraires, d’auteurs et d’acteurs du milieu du livre, désireux de mettre en lumière le genre polar. Et conjointement de la volonté de la Ville de Lyon, qui, à l’époque, n’avait pas de grosse manifestation littéraire. L’ambition, dès le départ, a été d’en faire un événement international. Avec, dès la première année, la présence de l’écrivain américain Harlan Coben. Ou Donald Westlake la deuxième année. Mais on ne s’imaginait pas forcément ce que Quais du Polar allait devenir et l’ampleur qu’allait prendre l’événement. Il s’agit bien d’un festival et non pas d’un salon et, depuis le début, l’événement a toujours été déployé dans différents lieux du centre-ville, une dizaine environ. La beauté de certains monuments lyonnais - L’Hôtel de Ville, le Palais de la Bourse, la Chapelle de la Trinité, etc. - contribue d’ailleurs à son succès.

Pourquoi Lyon ?

Lyon était la ville idéale. Déjà au niveau de sa taille, c’est la troisième métropole de France. C’est aussi l’une des villes qui comptent le plus de libraires. Mais également de par les structures culturelles avec lesquelles on travaille : le musée des Beaux-Arts, l’Institut Lumière dédié au cinéma, cela a beaucoup aidé le festival. Mais Lyon a aussi une forte histoire avec le genre. Déjà, Frédéric Dard, l’auteur des San-Antonio, était lyonnais. Mais également des réalisateurs tels que Bertrand Tavernier, né à Lyon, ou Claude Chabrol qui y a tourné certains de ses films. Lyon a aussi toute une histoire avec l’univers policier. La ville a été le théâtre de divers événements criminels au fil des siècles, notamment pendant la période des guerres de gangs au XIXe siècle, où des bandes rivales se disputaient le contrôle des quartiers. Je rappelle aussi que Lyon abrite l’un des premiers laboratoires de police scientifique en France, fondé en 1910 par Edmond Locard, un pionnier dans le domaine de la criminalistique. Dans le cadre du festival, nous collaborons de plus en plus avec des institutions telles que l’École nationale de police de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, qui ouvre ses portes pendant l’événement, ainsi que le Tribunal judiciaire, ou Interpol qui a son siège européen ici. Ces structures nous permettent d’explorer de manière immersive le côté un peu plus réel de l’univers policier.

De nombreux sujets de société sont abordés durant les conférences. Comment le genre du polar permet-il de traiter efficacement ces questions ?

Ce n’est pas toujours le cas, mais en effet de nombreux thrillers et romans policiers véhiculent un message fort. Le polar, notamment dans sa tradition anglo-saxonne étroitement liée au journalisme, a toujours été un terrain propice pour explorer une multitude de sujets de société. Une des raisons est que ce qui intéresse ces auteurs, c’est de parler du réel. Souvent engagés, ils portent un regard vif sur l’actualité et n’hésitent pas à en faire le cœur de leurs intrigues. Lorsque nous préparons les tables rondes tout au long de l’année, nous remarquons que certains sujets se démarquent lors de la lecture des nouvelles parutions. Cette année, par exemple, nous avons constaté une forte focalisation sur le roman noir d’anticipation. Les violences faites aux minorités, l’environnement et les nouvelles technologies sont des thèmes qui émergent de plus en plus.

Quel bilan tirez-vous de cette 20e édition ?

Pour comparaison, lors de la première édition, en 2005, Quais du Polar avait rassemblé une trentaine d’auteurs. Vingt ans plus tard, ils étaient au nombre de 135, pour une quinzaine de nationalités représentées. En termes de visiteurs, on est passé de quelques milliers à 100 000 cette année. Et nous avons doublé le nombre de libraires partenaires, pour une quinzaine aujourd’hui. À une époque où l’on dit que les gens lisent de moins en moins, le succès de cette édition est très réconfortant. Voir des files d’attente de deux heures pour se faire dédicacer un livre auprès d’un auteur est encourageant. Par ailleurs, on observe que l’image du genre polar a vraiment évolué. Son essor ne date pas d’hier, mais loin de ralentir, il s’accentue d’année en année. Quand nous avons débuté, le genre était encore mineur, dédaigné par le monde de la littérature. Aujourd’hui, de nombreux auteurs de polars trônent dans le Top 10 des écrivains les plus vendus en France.

Comment analysez-vous ce regain d’engouement ?

Selon moi, de nombreux phénomènes littéraires ont contribué à faire bouger les lignes depuis quelques années. À commencer par la trilogie Millénium, du journaliste suédois Stieg Larsson, dès 2006. Une série de livres totalement différents de ce que l’on trouvait à l’époque dans les collections polar et qui a attiré un public inédit. Et puis d’autres auteurs également qui se situent aux frontières du genre, je pense à James Ellroy, David Vann ou encore Denis Lehane. En France, Pierre Lemaitre, lauréat du prix Goncourt en 2013 pour son roman « Au revoir là-haut », et Nicolas Mathieu, qui a également remporté le prix Goncourt en 2018 pour « Leurs enfants après eux », ont donné une autre vision du genre. Le succès des auteurs français est très récent d’ailleurs et contribue à l’essor du polar en France. L’autre phénomène ayant eu un effet très positif, c’est évidemment la série TV, avec des œuvres de grande qualité, parfois écrites par des auteurs. Pour moi, les auteurs de romans policiers restent les meilleurs pour raconter des histoires. Et c’est pourquoi ces auteurs sont souvent adaptés au cinéma, certains devenant même scénaristes.